1769-06-14, de Pierre Michel Hennin à Marie Louise Denis.

Mad.,

En arrivant ici j'avois sondé M. de V. sur votre projet qu'il avoit paru regarder comme une idée vague et passagère.
Il m'avoit remis à un autre moment pour traiter cette affaire à fond, divers incidens m'ont empêché de le voir avant Dimanche dernier nous avons causé longtems, et cependant c'est moi qui ai été obligé de le ramener à ce qui faisoit l'objet de votre Lettre. Il a beaucoup éludé de répondre à mes objections mais le résultat de son sentiment a été que vous étiez dans votre Patrie mieux que partout ailleurs, qu'il y auroit une sorte d'indécence à vivre si prez l'un de l'autre sans habiter sous le même toit, que pour lui il ne vouloit plus vivre que comme un moine et avec des gens qui en eussent les goûts, et à ce propos il m'a fait un long plaidoyer en faveur de m. D…. Je ne lui ai pas caché que la compassion avoit ses bornes et que ses amis le voyoient avec peine livré à un homme mal famé. Il a fini par me dire qu'il espéroit réconcilier son hôte avec ses parens et que cela ne dureroit pas trois mois. Pendant toute cette conversation quoiqu'il me donnât ses marques d'amitié ordinaires j'ai crû appercevoir qu'il pesoit ses paroles, et se tenoit fort sur la réserve. Je ne l'ai cependant pas heurté et lui ai dit que nous reparlerions un de ces jours de ces divers objets. Je dois diner avec lui, Peutêtre y aura t'il moyen de le faire revenir, mais sûrement si je l'eusse heurté dans sa première résistence il n'auroit madame jamais consenti à ce que vous désirez. Il est je crois inutile que je vous exprime tout l'intérêt que je prens à voir réüssir votre projet, j'employerai sûrement tout ce que je pourrai de persévérance et d'addresse. De votre côté il me semble que vous ne pouvez trop traiter cette affaire vis à vis du cher oncle de manière à ne pas attirer une réponse absolumt négative. J'ai eû grand soin de lui dire ce dont vous m'aviez chargé que sa volonté vous serviroit toujours de guide, et que vous ne lui aviez proposé de vous rapprocher de lui de cette manière qu'aprez avoir bien pesé votre position actuelle et ce que vous luy devez ainsi qu'à vous même. C'est donc mad. au tems et à la réflexion à mettre cette affaire en meilleur train. J'y veillerai je vous l'assure avec toute l'attention possible et vous serez instruite exactement de tout ce qui se passera à cet égard.

Geneve décline quoi qu'on en dise. Notre Versoix va lentement, mais on se flatte qu'il ne tardera pas à y avoir une décision sur les Terrains et qu'alors le zèle des particuliers achèvera ce que le Ministère a commencé. Je contribuerai pour ma part à cette création si comme je l'espère on me donne un terrein en situation avantageuse.

M. Dupuits est parti pour sa tournée. Il laisse sa femme dans une habitation triste mais qu'on peut égayer en abattant quelques arbres. Je la verrai autant que mes affaires pourront me le permettre. M. et Mad. Racle qui vous sont toujours dévoués au delà de toute expression commencent à recueillir le fruit de leur bonne conduite. Ils ont lieu d'être on ne peut pas plus contents. M. de Caire et les travaux vont bien et l'entreprise doit leur être très avantageuse par les facilités qu'on y a procurées.

Je me flatte mad. de n'avoir pas besoin de protestations pour vous convaincre du sincère et respectueux dévouement avec lequel &c.