1775-05-01, de Jean Le Rond d'Alembert à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon cher et illustre ami, Mad. Suard qui vous apporte des lettres de bien des gens qui valent mieux que moi, veut encore je ne sais pourquoi que je lui en donne une pour vous.
Jamais écriture ne fut plus inutile. Vous jugerez d'abord en la voyant qu'elle n'avait pas besoin d'un autre introducteur auprès de vous que de ses grâces naturelles; et quand vous l'aurez entendue, ce sera bien pis pour toutes nos lettres, vous les jetterez toutes au feu à commencer par la mienne. Elle vous dira des nouvelles de tout ce qui se passe ici, ou ce qui est à peu près synonyme de nos sottises en tout genre plaisantes ou tristes, atroces ou ridicules, mais ce qui m'intéresse davantage elle rapportera à vos amis des nouvelles de votre santé sur laquelle ils ne sont point tranquilles. Nous le serions bien davantage, si nous pouvions vous laisser mad. Suard. Il vous serait difficile d'être malade tant que vous l'auriez près de vous, mais ne pouvant la céder à personne, pas même à vous, et son mari surtout ne serait nullement de cet avis, il ne manquera à votre plaisir que de les voir ensemble. Vous les trouveriez bien dignes l'un de l'autre. Je finis tout ce bavardage, qui est si fort en pure perte pour mad. Suard et pour vous et qui retarde de quelques moments le plaisir que vous aurez de causer avec elle.