27e xbre 1765 à Ferney
Je suis très persuadé, Monsieur, qu'il y a plusieurs Dames à Genêve qui aimeraient mieux partager vôtre Lit jonquille, que de vous le disputer.
Nous ne sommes pas trop dignes actuellement de vous coucher, mais si quelque vieille emporte vôtre Lit, daignez venir dormir chez nous.
Vous êtes trop heureux d'avoir vu Covelle le fornicateur, celà est d'un très bon augure; c'est le premier des hommes, car il a fait des enfans à tout ce qu'il y a de plus laid dans Genêve, et boit du plus mauvais vin, comme si c'était du Champ-Bertin, d'ailleurs grand politique et n'ayant pas le sens commun.
Comment voulez vous, Monsieur, que les citoiens élisent des magistrats? on vend des échaudés à la nouvelle élection, et des biscuits au pouvoir négatif. Ces deux branches de commerce doivent être respectées. Vous vous amuserez doucement et guaiment à arranger cette petite fourmilière, où l'on se dispute un fétu, et je m'imagine encor que vous en viendrez à bout.
Si vous avez envie, Monsieur, d'avoir une maison de campagne, il y en a une auprès de Ferney qu'un architecte a bâti, et qu'il doit peindre à fresque. Tous les platfonds sont en voûtes plattes de briques. Il y a du terrein pour entourer la maison de jardins. On a déjà bâti une petite écurie, on peut faire vis à vis de cet écurie un logement pour des domestiques. Je crois que tout celà serait à bon marché, et sûrement à meilleur marché qu'auprès de Genêve.
Vous voiez, Monsieur, que je cherche mon intérêt. Vous sentez combien il me serait doux de vous avoir l'été dans nôtre voisinage. Ajoutez à ces raisons, que dans toutes les maisons de campagne du territoire de la parvulissime République, on est épié de la tête aux pieds, et qu'on est l'éternel objet de la curiosité publique.
Recevez mes très tendres respects.
Quand vous aurez, Monsieur, quelques ordres à me donner aiez la bonté de me les envoier le soir, ou avant les dix heures du matin, chez Mr Souchay, marchand aux rues basses près du Lyon d'or, je les recevrai toujours.
V.