1769-04-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

J'ai peur que mon ancien ami ne connaisse pas le tripot auquel il a affaire.
Je ne crois pas qu'il y ait aucun de ces animaux là à qui Dieu ait daigné donner le goût et le sens commun. Ils aiment d'ailleurs passionément leur intérêt et ne l'entendent point du tout. Il n'y en a point qui n'ait la rage de vouloir mettre du sien dans les choses qu'on lui confie. Ils ne jugent jamais de l'ensemble que par la partie qui les regarde et dans laquelle ils croient pouvoir réussir.

Deplus, le détestable goût d'un petit siècle qui a succédé à un grand siècle égare encor leur pauvre jugement. Le vieux vin de Falerne et de Cecube ne se boit plus; il faut la lie du vin plat de la Chaussée.

A propos de plat, rien ne serait en éffet plus plat et plus grossier, que de dire en face à un homme, En dusse-tu crever, mais le dire à un mort me parait fort plaisant.

L'Epitre de mr De Ruliere est pleine d'esprit, de vérité, de gaieté et de vers charmants. Elle mérite d'être parfaitte. Je lui écris ce que j'en pense. Je vous embrasse.

V.