à Paris ce 2e Janvier [1769]
Je ne suis plus enrhumé, mon cher maitre, mais je me sers d'un scribe pour ménager mes yeux qui sont très foibles aux lumières.
J'envoye mon discours, puisque vous lui faites l'honneur de vouloir le lire; je vous l'ai fait attendre quelques jours, et beaucoup plus longtemps qu'il ne mérite, parce qu'il étoit à courir le monde, et que je n'ai pu le ravoir qu'aujourd'hui; voulez vous bien me le renvoyer sous l'enveloppe de mr Marin? Il n'est que trop vrai qu'un certain Gentil-homme a tenu au roi de Dannemark le ridicule propos qu'on vous a dit; vous verez dans mon discours un petit mot de correction fraternelle pour ce gentil homme, qui étoit présent, et qui à ce que je crois l'aura sentie; car je ne gâte pas ces messieurs. Vous voyez, mon cher ami, ce qui en arrive quand on les flatte; ils trouvent mauvais qu'on se moque des plats auteurs qu'ils protègent; on s'expose à de tels reproches, quand on caresse ceux qui les font. La critique de Linguet auroit pu être meilleure et de meilleur goût; cependant comme il a raison presque en tout, elle a beaucoup chagriné son maussade adversaire; la liste des frases tirées de la traduction est bien ridicule, et peut être auroit suffi.
Vous devez des regrets au pauvre D'Amilaville; il vous étoit bien attaché; je savois qu'il étoit marié, mais non pas par lui, car il ne me disoit rien de ses affaires; j'ai vu sa femme une seule fois et d'après cette vue je doute fort qu'il ait été cocu; mais ce qui me fâche le plus, c'est que cette vilaine mégère (car c'en étoit une) emporte tout le peu qu'il laisse, et qu'il ne restera pas même de quoi payer un excellent domestique qu'il avoit.
Je n'ai point lu la collection des ouvrages de Leibnitz; je crois que c'est un fatras où il y a bien peu de choses à apprendre.
Il est vrai que j'ai donné cette année deux gros volumes in-4. de Géométrie, ce seront vraisemblablement les derniers.
Nôtre sécrétaire, toujours convalescent et assés foible, vous fait mille compliments. Quant à l'a b c, personne n'ignore qu'il est en effet traduit de l'anglois par un avocat. Vale, et me ama.
d'Alembert