A Paris ce 17 xbre 1768
Je suis dans mon lit avec un rhume, mon cher et illustre maitre, et je me sers d'un secrétaire pour vous répondre sur le champ.
Je suis étonné que vous n'ayez pas reçu une lettre que je vous ai écrite il y a 15 jours, et dans laquelle je vous mandois le triste état de nôtre pauvre ami, qui a cessé de vivre ou plutôt de souffrir le 13 de ce mois; il y avoit plus de trois semaines qu'il existoit avec douleur et presque sans connoissance, et sa mort n'est un malheur que pour ses amis. Il a été confessé sans rien entendre, et a reçu l'extrême-onction sans s'en appercevoir.
Je vous disois aussi dans la même lettre que nôtre sécrétaire Duclos étant malade d'une fluxion de poitrine, m'avoit chargé de vous remercier pour lui de l'exemplaire de votre ouvrage que vous lui avez envoyé; il est mieux àprésent, mais encore bien foible, et il m'a chargé de vous réitérer ses remercimens, et de vous dire que l'académie recevroit avec grand plaisir l'exemplaire que vous lui destinez.
Je vous félicite d'avoir eu mr de Rochefort dans votre solitude pendant quelques jours; c'est un très galant homme, fort instruit, et ami zélé de la Philosophie et des lettres.
Le Roi de Dannemark ne m'a presque parlé que de vous dans la conversation de deux minutes que j'ai eu l'honneur d'avoir avec lui; je vous assure qu'il auroit mieux aimé vous voir à Paris que toutes les fêtes dont on l'a accablé. J'ai fait à l'académie des sciences, le jour qu'il y est venu, un discours dont tous mes confrères et le Public m'ont paru fort contents; j'y ai parlé de la Philosophie et des lettres avec la dignité convenable; le roi m'en a remercié; mais les ennemis de la Philosophie et des lettres ont fait la mine; je vous laisse à penser si je m'en soucie.
J'ignore les intrigues de la Bletrie, et je les méprise autant que sa traduction et sa personne. Je ne vous mande rien de toutes les sottises qui se font et qui se disent; vous les sçavez sans doute par d'autres, et sûrement vous en pensez comme moi. J'ai lu il y a quelques jours une brochure intitulée l'a, b, c; j'ai été charmé surtout de ce qu'on y dit sur la guerre et sur la liberté naturelle. A Dieu, mon cher, et ancien ami, pensez quelques fois dans votre retraite à un confrère qui vous aime de tout son cœur, et qui vous embrasse de même.
D'Alembert