à Paris le 17 janvier [1765]

Je commence, mon cher & illustre maitre, par vous remercier des soins que vous voulez bien vous donner pour moi.
Voici une lettre où je prie m^r Cramer de hâter l'impression. Je ne lui parle qu'en passant de ce qui concerne mes intérêts, c'est votre affaire de lui dire là dessus ce qui convient; cela devroit être fait de sa part; je désirerois beaucoup d'avoir à me louer de lui, parce que j'aurai vraisemblablement dans le courant de cette année d'autres ouvrages à lui donner, étant bien résolu de ne plus rien imprimer en France; assurément je n'ai point envie de me faire d'affaire avec des pédans à long et à petit rabat, mais c'est bien assez de me couper les ongles moi même de bien près, sans qu'un censeur vienne encore me les couper jusqu'au sang. M^r Cramer peut compter, si j'ai lieu d'être content de lui en cette occasion, qu'il imprimera désormais tout ce que je ne voudrai pas soumettre à l'inquisition de nos Midas en soutane ou en robe.

Je suis bien fâché pour la philosophie et pour les lettres du parti que prend Jean Jaques, et en particulier de ce qu'il a dit contre vous dans son dernier livre, que je n'ai pu lire, tant la matière est peu intéressante pour qui n'est pas bourdon ou guêpe de la ruche de Geneve. Il a couru un bruit que vous lui aviez fait une réponse injurieuse, je ne l'ai pas cru, et des gens en état d'en juger qui ont lu cette réponse, m'ont assuré qu'elle n'étoit pas de vous. Au nom de dieu si vous lui répondez, ce qui n'est peutêtre pas nécessaire (du moins c'est le parti que je prendrois à votre place) répondez lui avec le sang froid et la dignité qui vous conviennent. Il me semble que vous avez beau jeu, ne fût ce qu'en opposant aux horreurs qu'il dit aujourd'hui de sa patrie, tous les éloges qu'il en a faits il y a 4 ou 5 ans dans la dédicace d'un de ses ouvrages, sans compter son petit procédé avec moi, à qui il a donné tort et raison, selon que ses intérêts l'exigeoient. Il est bien fâcheux que la discorde soit au camp de la Philosophie, lors qu'elle est au moment de prendre Troye. Tâchons du moins de n'avoir rien à nous reprocher de ce qui peut nuire à la cause commune.

Je ferai usage, sans vous compromettre, de ce que vous me marquez au sujet de m^r le Chevalier de la Tremblaye. Je vous réitère, mon cher maitre, mes remercimens et mes embrassemens. Mille respects à mad^e Denis. Faites cacheter la lettre pour Cramer, avant que de la lui envoyer.