1 Janvier 1769
Je ne m'étais pas attendu à voir l'année 1769.
Mais puisque la voilà, qu'elle soit la bienvenue. Que la destinée, ma chère nièce, vous en donne beaucoup d'heureuses, quoique ce ne soit pas trop sa coutume.
Vos deux réflexions étaient très justes. La réponse est dans un quatrième acte que vous trouverez dans ce paquet adressé à Monsieur Marin. Il me semble qu'on ne peut faire rien de bien en aucun genre sans les conseils de ses amis. Je vous remercie tendrement des vôtres.
Communiquez ce quatrième acte aux anges, qui en feront faire une copie. Le Kain poura lire le tout à son aréopage quand il voudra: car je ne crois pas que la nature de l'ouvrage permette de rien changer au cinq. Plus j'examine la pièce, moins je vois qu'elle soit susceptible d'allusions dangereuses. Il est très certain que si Marin n'était pas au fait, il n'aurait pas le moindre scrupule. J'espère en son bon goût et en son bon esprit. Ce serait en vérité une chose très importante que cette tragédie pût réussir. Elle ferait plus d'une espèce de bien. Vous voulez donc actuellement qu'elle appartienne à Madame de Maron; ce n'est pourtant pas là son stile. C'est d'ailleurs une fort bonne femme.
Mais soit Maron soit Guimond de la Touche, il est assez triste qu'il y ait deux tragédies à passer devant une pièce qui est le code de la tolérance, de la royauté, de l'humanité et de la nature. D'ailleurs c'est une réponse à l'abbé de la Bleterie qui veut absolument que je me fasse enterrer.
Je ne sais s'il est à propos de demander la reprise des Scythes avant la représentation de ces deux pièces nouvelles que les comédiens ont reçues, soit qu'elles soient bonnes, soit qu'elles soient mauvaises. Je ne connais personne en état d'en faire de bonnes; mais après le Siège de Calais, il se peut très bien qu'Arlequin et Pierrot aient un prodigieux succès sur le théâtre de Cinna et de Phedre.
Voici en tout cas un petit billet galant pour Mademoiselle Vestris, dont vous ferez l'usage que vous croirez le plus convenable. Tout cela avec les deux pièces nouvelles est au moins un amusement assuré pour votre hiver.
Monsieur le Maréchal de Richelieu ne m'a pas remercié du siècle dont je lui ai fait présent. C'est apparemment par ce que je ne l'avais pas remercié assez du présent qu'il m'avait fait de Galien. Tous les autres intéressés et surtout plusieurs ministres d'état m'ont fait les remerciemens les plus flatteurs avec les plus grandes offres de service.
Je ne croirai point à la fête de la présentation à moins qu'elle n'ait été chômée.
Je me flatte que la maladie de Madame Dupuits notre enfant n'aura pas eu de suite. J'embrasse tendrement la femme et le mari, et vous surtout, ma chère nièce, que j'aimerai jusqu'au dernier moment de ma vie.