à Ferney 3e Xbre 1768
Voilà, Mr, deux beaux ouvrages contre le fanatisme.
Voilà deux engagements pris à la face du ciel et de la terre, de ne jamais permettre à la religion de persécuter la probité. Il est tems que le monstre de la superstition soit enchainé. Les princes catholiques commencent un peu à réprimer ses entreprises; mais au lieu de couper les têtes de L'hydre ils se bornent à lui mordre la queue. Ils reconnaissent encor deux puissances, ou dumoins ils feignent de les reconnaître. Ils ne sont pas assez hardis pr déclarer que l'église doit dépendre uniquemt des loix du souverain. Leurs sujets achètent encor des dispenses à Rome. Les Evêques paient des annates à la chambre qu'on nomme apostolique. Les archevêques achêtent chèremt un licou de laine qu'on nomme un pallium. Il n'y a que vôtre Illustre Souveraine qui ait raison; elle paie les prêtres, elle ouvre leur bouche et la ferme; ils sont à ses ordres, et tout est tranquile.
Je souhaitte passionémt qu'elle triomphe de l'Alcoran come elle a sçu diriger l'évangile. Je suis persuadé que vos troupes battront les Ottomans amollis. Il me semble que toutes les grandes destinées se tournent vers vos climats. Il sera beau qu'une femme détrône des barbares qui enferment les femes, et que la protectrice des sciences batte complètemt les ennemis des beaux arts. Puissai-je vivre assez longtems pr aprendre que les Eunuques du serrail de Constantinople sont allés filer en Sibérie! Tout ce que je crains, c'est qu'on ne négocie avec Moustapha aulieu de le chasser de l'Europe. J'espère qu'elle punira ces brigands de Tartarie, qui se croient en droit de mettre en prison les ministres des Souverains. Le beau moment, Mr, que celui où la Grèce verrait ses fers brisés! Je voudrais recevoir une Lettre de vous, dattée de Corinthe ou d'Athènes. Tout celà est possible. Si Mahomet 2d a vaincu un sot Empereur chrétien, Catharine 2de peut bien chasser un sot Empereur Turc. Vos armées ont battu des armées plus disciplinées que les janissaires. Vous avez pris déjà la Crimée, pourquoi ne prendriez vous pas la Thrace? Vous vous entendrez avec le Prince Héraclius, et vous reviendrez après mettre à la raison les bons serviteurs du nonce du pape en Pologne.
Voilà quel est mon roman. Le courage de l'impératrice en fera une histoire véritable. Elle a commencé sa gloire par les loix, elle l'achêvera par les armes. Vivez heureux auprès d'elle, Mr le Cte, servez la dans ses grandes idées, et chantez ses actions.
Je présente mes respects à made la comtesse de Shouvaloff.