28e 9bre 1768
Point du tout, mon cher ami, le patriarche est toujours malingre; et s'il est goguenard dans les intervales de ses souffrances, il ne doit la vie qu'à ce régime de guaieté qui est le meilleur de tous.
Tout guai que je suis par accès je suis au fond très affligé pour l'Espagne que l'université de Salamanque succède aux jesuites dans le ministère de la persécution. Je l'avais bien prévu avec frère Lambertad, et je dis quand on chassa les renards, on nous laissera manger aux loups.
J'ai toujours vôtre 15e chapitre dans le cœur et dans la tête; et la censure contre dans le cu. Je ne crois pas qu'il y ait rien de si déshonorant pour nôtre siècle. Sans vôtre 15e chapitre ce siècle était dans la bouë.
Je n'ai pas manqué de vous envoier celui de Louïs 14 par les voitures publiques de Lyon. Il est vrai que ne sachant où vous prendre l'adresse est chez made De Geoffrin, car j'ai oublié vôtre nouvelle demeure.
Vôtre idée de l'histoire politique de l'église est très belle, mais c'est l'histoire du monde entier. Il n'y a point de roiaume en Europe que le pape n'ait donné ou cru donner. Il n'y en a point où il n'ait levé des décimes, et où il n'ait éxcité des guerres. J'en ai dit quelque mots dans l'essai sur l'histoire générale.
L'éxamen dans lequel le président Hénaut est si maltraitté, est un tour de maître Gonin que je n'ai pas encor éclairci. L'ouvrage est assurément d'un homme très profond dans l'histoire de France. Il y a des erreurs, mais il y a aussi des recherches savantes. Le stile court après celui de Montesquieu, et l'attrape quelquefois, mais avec des solescismes et des barbarismes dont Montesquieu avait aussi sa part. On a imprimé ce petit livre sous le nom d'un marquis de Bellestat. J'ai reçu moimême de Montpellier deux lettres signées de ce nom, et il se trouve à fin de compte qu'il n'y a point de marquis de Bellestat. C'est l'avanture du faux Arnaud.
Je crois, après m'être bien tourmenté à deviner, que je dois finir par rîre. Plût à Dieu qu'il n'y eût dans le monde que ces petites méchancetés! Mais je reprends mon air grave et triste quand je songe à certaines choses qui se sont passées dans mon siècle. Je ne les oublie point; je les garde pour les posthumes, et je veux que la postérité déteste les persécuteurs.
Mandez moi vôtre demeure. Je vous embrasse bien tendrement mon très cher confrère.