31e xbre 1768
Mon cher philosophe, le démon de la discorde et de la calomnie souffle terriblement sur la littérature.
Voiez ce qu'on a imprimé dans plusieurs journaux du mois de novembre. Il est nécessaire que vous en soiez instruit. Je ne crois pas que ces journaux soient fort connus à Paris, mais ils le sont dans l'Europe.
Croiriez vous que Mr Le Duc et made la Duchesse de Choiseul ont daigné m'écrire pour disculper la Blétrie? Mais comment se justifiera-t-il nonseulement d'avoir traduit Tacite en stile pincé, mais de n'avoir fait des notes que pour insulter tous les gens de Lettres? Je ne parle pas de Linguet qui s'est deffendu un peu trop longuement; mais pourquoi désigner Marmontel dans le tems de la persécution qu'il essuiait? N'a-t-il pas désigné de la manière la plus outrageante le président Hénaut par ces paroles que vous trouverez page 235 du second tome, fixer l'époque des plus petits faits avec la plus grande éxactitude, c'est le sublime de nos prétendus historiens modernes, celà leur tient lieu de génie et de talents historiques.
Quoi! cet homme attaque tout le monde, et il trouve la plus forte protection et les plus grands encouragements! Est-ce pour l'éducation des enfans de France qu'il a publié son Tacite? Je sais certainement qu'il veut être de l'académie, et probablement il en sera.
Je crois connaître enfin le beau marquis qui a peint le président Hénaut et le petit fils de Sha Abas d'un pinceau si rembruni et si dur. Mais par quelle rage m'imputer cet ouvrage dans lequel je suis moi même maltraitté? Il faut donc combattre jusqu'au dernier jour de sa vie? Eh bien combattons.
Avez vous jamais lu le catécumène? une ode contre tous les rois dans la dernière guerre? une Lettre au docteur Pansophe? Tout celà est de la même main. On a cru y reconnaître mon stile. L'auteur n'a jamais eu l'honnêteté de détourner ces injustes soupçons, et moi qui le connais parfaittement aussi bien que mr Marin j'ai eu la discrétion de ne le jamais nommer. Je sais très bien quel est l'auteur du livre attribué à Freret, et je lui garde une fidélité inviolable. Je sais qui a fait le christianisme dévoilé, le despotisme oriental, Henoc et Elie etca, etca, et je ne l'ai jamais dit. Par quelle fureur veut-on m'attribuer l'a, b, c? C'est un livre fait pour remettre le feu et le fer aux mains des assassins du chevalier de La Barre.
Je compte sur vôtre amitié mon cher philosophe; quelle soit mon bouclier contre la calomnie, et la consolation de mes derniers jours.
Je vous embrasse très tendrement.
V.