à ferney 3e 9bre 1768
Je vous prie, mon cher ami, de me procurer ces trois volumes de mélanges où vous dites qu'on a inséré plusieurs ballivernes de ma façon, comme Tragédies médiocres, comédies de société, petits vers de société qui ne sont jamais bons qu'aux yeux de ceux pour qui ils ont été faits.
Si la folie de faire des vers est un peu épidémique la rage de les imprimer est beaucoup plus grande. On dit qu'on a mêlé à ces fadaises des ouvrages licentieux de plusieurs auteurs. Je suis comme les gens de mauvaise compagnie qui sont fâchés de se trouver en mauvais compagnie. Faittes moi venir, je vous prie, par vos correspondants de Hollande deux exemplaires de ce recueil, intitulé, dit-on, nouveaux mèlanges: je veux en juger.
Il y a tantôt cinquante ans qu'on se plait à mettre sous mon nom beaucoup de sottises, qui jointes avec les miennes composent en papier bleu une bibliothèque très considérable. Mais la calomnie y mêle quelquefois des ouvrages sérieux qui font bien de la peine. Ces impostures sont d'autant plus désagréables qu'on ne peut guères les repousser; on ne sait d'où elles partent, on se bat contre des fantômes. J'ai beau me mettre en colère comme Ragotin, et jurer que celà n'est pas de moi et que celà est détestable; on me répond que mon stile est très reconnaissable, et voilà comme on juge. La condition d'un homme de Lettres ressemble à celle de l'âne du public, chacun le charge à sa volonté, et il faut que le pauvre animal porte tout.
Mettez moi au fait, je vous prie, de ce recueil de nouveaux mélanges, je vous serai très obligé. J'attends ce service de vôtre amitié.
V. t. h. o. s.
V.