1763-01-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Paul Claude Moultou.

Je suis trés touché, Monsieur, de vôtre Lettre, et de plus très éclairé; je sens bien que je marche sur des charbons ardents; on est tantôt en colère, et on a tantôt envie de pouffer de rire quand on lit l'histoire des Hébreux.
En vérité l'olivier sauvage sur lequel on a grèffé l'olivier franc, était un vilain chardon.

Vous ètes bien plus hardi que moi, vous me proposez d'oser dire qu'on ne peut attribuer à la divinité des loix intolérantes; je suis bien de vôtre avis, mais le Deuteronome n'en est pas, car ce Deuteronome ordonne de tuer son frère, son fils, sa fille, sa mère, sa femme, s'ils prophétisent des choses vraies, et si en prophétisant ils s'éloignent du culte reçu; celà est aussi absurde qu'horrible, mais comment le dire? Nos seigneurs les Evêques me feraient brûler comme un porc. Je me vois entre des gens qui disent que deux et deux font cinq, et des prépuciés qui disaient que deux et deux et deux font six; je ne laisse pas d'être assez embarassé entre ces deux espèces de petites maisons.

Je n'ai jamais dit, révérence parler, que les huguenots étaient par principe ennemis des rois. Je crois cependant, entre nous, qu'il en est quelque chose. Quel est l'homme en éffet qui n'aimerait pas mieux être né libre que sujet? J'ai dit seulement que Jaques (qu'Henry 4 appellait toujours, maître Jaques) regardait les presbitériens comme ennemi du thrône, et il n'avait que trop raison.

Il est bien vrai que les Evêques se servent des rois, et les rois des Evêques, pour affermir tour à tour leur pouvoir. Je crois qu'il faut tâcher d'éloigner icy cette question odieuse; n'éfarouchons point ces deux puissances, tâchons plutôt de leur plaire.

J'ai beaucoup retravaillé l'ouvrage en question; je me dis toujours, il faut tâcher qu'on te lise sans dégoût; c'est par le plaisir qu'on vient à bout des hommes; répands quelques poignées de sel et d'épices dans le ragoût que tu leur présentes, mêle le ridicule aux raisons, tâche de faire naître l'indifférence, alors tu obtiendras sûrement la tolérance.

J'aurais bien des choses à vous dire sur tout celà, et principalement sur les voies qu'on pourait prendre pour qu'on traitât comme des citoyens, les malhonnêtes gens qui ne croient pas qu'un même corps puisse être à la fois en cent mille endroits différents, qu'un capucin fait Dieu, et que ce Dieu est mangé des rats quand ce capucin n'a pas soin de fermer la boëte.

Je vous remercie de vos livres: mais je vous remercierais bien d'avantage, si vous aviez la bonté de venir coucher à Ferney quelque jour avec nôtre arien, ou sans vôtre arien.

En cas que vous n'ayez pas vôtre Equipage, ordonnez le mien pour le jour qu'il vous plaira.

Rien n'est égal à mon estime et à mon attachement pour vous.