1768-06-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Louis Vincent Capperonnier de Gauffecourt.

J'ai bientôt fait usage, Monsieur, du livre de la Bibliothèque royale que vous avez eu la bonté de me prêter.
Il a été d'un grand secours a un pauvre feu Historiographe de France tel que moi. Je voulais savoir si ce Montecuculo que nous appellons mal à propos Montecuculli, accusé par des médecins ignorans d'avoir empoisonné le Dauphin François, par ce qu'il était chimiste, fut condamné par le Parlement ou par des Commissaires, ce que les historiens ne nous apprennent pas. Il se trouve qu'il fut condamné par le Conseil du Roi. J'en suis fâché pour François premier. La vérité est long temps cachée, il faut bien des peines pour la découvrir. Vous ne sauriez croire ce qu'il me coûte de soins pour la chercher à cent lieues dans le siècle de Louis XIV et de Louis XV. Ce travail est rude. Il y a trois ans qu'il m'occupe et qu'il me tue sans presque aucune diversion. Enfin il est fini. Jugez, Monsieur, si je peux avoir eu le temps de faire toutes les maudites brochures qu'on débite continuellement sous mon nom. Je suis l'homme qui accoucha d'un œuf; il en avait pondu cent avant la fin de la journée. Les nouvellistes de Paris ne sont pas si scrupuleux en fait d'historiettes que je le suis en fait d'histoire. Ils en débitent souvent sur mon compte non seulement de très extraordinaires, mais de très dangereuses. C'est la destinée de quiconque a le malheur d'être un homme public. On souhaite d'être ignoré, mais c'est quand il n'est plus temps. Dès que les trompettes de la Renommée ont corné le nom d'un pauvre homme, adieu son répos pour jamais.

J'ai l'honneur d'être avec la plus sensible reconnaissance pour toutes vos bontés,

Monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire