à Geneve le 4 Janv. 1768
Je vous ai caché jusqu'aujourd'hui m. une sottise du sr Gallien qui vous touche, et dont je me proposais d'avoir l'honneur de vous parler.
Il y a déjà du tems que je l'entendois dire que vous travailliez à un Dialogue sur les affaires de Geneve dont Esope et Abauzit étaient les interlocuteurs. Toute la ville en parloit, on annonçoit que les Représentans avoient nommé huit personnes pour y répondre, enfin ce chef d'œuvre a paru et au premier mot j'ai reconnu que mon étourdi en était l'auteur. Je lui en ai parlé, il est convenu qu'il y avoit part. Je lui ai représenté qu'il vous avoit manqué essentiellement, et mon intention dès ce moment a été de ne plus le garder. J'ai écrit à M. le Mal de Richelieu et sans lui rien dire de cette faute du sr Gallien, je l'ai prévenu que son protégé n'étoit bon que dans une Bibliotèque. Sans doute il m'entendra. Aujourd'hui les représentans viennent de répandre dans la ville la feuille que j'ai l'honneur de vous envoyer, après laquelle il ne m'est plus possible de garder le sr Gallien, 1. Parce qu'il s'est mêlé d'écrire sans m'en faire part, 2. parce qu'il a eu envers vous une conduite très blâmable, Enfin parce qu'il ne convient nullement qu'un homme qui vit chez moi se mêle dans les querelles de Geneve, encore moins quand il n'y entend rien, et donne prise sur lui comme il l'a fait en mille endroits. Je vous prie m. de me dire ce que vous jugez que je dois faire du sr Gallien qui ne peut plus rester chez moi après une pareille incartade. Le mieux est je crois de le renvoyer au plustôt à Paris.
J'étois sur le point M. de partir pour aller coucher à Ferney lorsque la neige m'en a fermé le chemin. Aussitôt qu'on pourra passer je me fais une fête d'aller vous tenir compagnie. Je me flatte que vous n'avez pas besoin de protestation de ma part pour être persuadé du tendre et inviolable attachement que je vous ai voüé ainsi qu'à Made Denis.
H.