à Versailles ce 9 [December 1767]
J'ay recu Monsieur La Lettre que vous m'avés écrit le 30 de ce mois et j'ay esté enchanté que vous voulussiés vous rappeller que j'ay esté et serai toute ma vie un de vos admirateurs les plus zélés.
Il me semble qu'il est difficile de ne pas causer avec vous tous les jours de sa vie. C'est un dédommagement de la privation de ne pas vous voir dans les sociétés dont vous faisiés l'agrément.
Il est certain que vostre testament n'a pas esté exécuté avec la bonne foy que la candeur de Mlle Dubois pouvoit faire espérer. Elle a voulu vous tromper comme elle trompe ses amants et même les greluchons. Elle a adjointe quelque lignes à La Lettre que vous Luy avés écrit. La bonne foy de Melle Durancy en a esté la Dupe et son amour propre La détermina à quitter La comédie pour retourner à L'opéra où ses succès sont peut être plus amères. Je sçais bien ce qu'il faudroit pour mettre tout le monde d'accord. Il en existe une qui comme vous ne peut jamais estre remplacée. On L'a forcé de quitter un spectacle dont elle faisoit l'ornement et malgré la sagesse qui dirige les premiers gentilshommes de la chambre j'ose dire qu'il est impossible d'avoir une conduitte plus pitoyable. Je pourrois pour me justiffier dire que tout s'est passé contre mon avis mais l'événement n'en a pas moins eu Les suittes les plus désagréables pour le spectacle. Il faudroit un prophète comme vous pour la convertir. Je ne suis ny assés jeune ny assés éloquent pour entreprendre une besogne aussi difficile.
J'ay tâché de former un establissement à Versailles qui pourra procurer des sujets par la suitte. J'y ay établi une trouppe qui [?suivra] La cour à Fontainebleau et à Compiegne. C'est Preville qui en est le directeur. On sera obligé d'y débuter avant de venir à Paris. De jeunes gens s'y formeront sous les yeux des comédiens de Paris et d'un monde moins inepte que les provinciaux qui gastent les talents. Nous verrons si le succès répondra à mes espérances. J'ay cru devoir vous rendre cette espèce de compte. Qui peut avoir des droits pareils aux vostres? Et cet hommage ne vous est il pas dû bien légitimement? Je vous jure aussi que c'est avec bien du plaisir que je m'acquitte de ce devoir.
Je n'aurai pas besoin de donner des ordres pour faire reprendre les Scithes. Les comédiens entendent trop bien leurs intérêts pour ne pas le désirer mais je crois qu'il faut attendre le retour de la santé d'un comédien que La vérole et des indigestions mettent hors d'estat de jouer de quelque temps. Il est fâcheux que ces deux maladies se prennent avec autant de facilité. C'est je crois une des grandes fautes que la providence a fait. Qu'en pensés vous? Adieu Monsieur. Je soushaisterois cependant vous voir prendre l'une et l'autre dans cinquante ans, dussay je partager ces maux avec vous. Soyés bien persuadé je vous prie malgré ces soushaits, du sincère attachement avec lequel je suis très parfaittement Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur
Le Duc de Duras