6 xbre 1767
Sire,
On m'apprend que v. m. semble désirer que je lui écrive.
Je n'ai osé prendre cette liberté; un certain Bourdillon, qui professe secrètement le droit public à Bâle, prétend que vous êtes accablé d'affaires, & qu'il faut captare mollia fandi tempora. Je sais bien, sire, que vous avez beaucoup d'affaires; mais je suis très sûr que vous n'en êtes pas accablé; & j'ai répondu au sr Bourdillon: Rex ille superior est negotiis.
Ce Bourdillon s'imagine que la Pologne serait beaucoup plus riche, plus peuplée, plus heureuse, si les chefs étaient affranchis, s'ils avaient la liberté du corps & de l'âme, si les restes du gouvernement gothico-sclavonico-romanosarmatique étaient abolis un jour par un prince qui ne prendrait pas le titre de fils aîné de l'église, mais celui de fils aîné de la raison. J'ai répondu au grave Bourdillon que je ne me mêlais pas d'affaires d'état, que je me bornais à admirer, à chérir les salutaires intentions de v. m., votre génie, votre humanité, & que je laissais les Grotius & les Puffendorf ennuyer leurs lecteurs par les citations des anciens qui n'ont pas fait le moindre bien aux modernes. Je sais, disais je à mon ami Bourdillon, que les Polonais seraient cent fois plus heureux, si le roi était absolument le maître; & que rien n'est plus doux que de remettre ses intérêts entre les mains d'un souverain qui a justesse dans l'esprit & justice dans le cœur; mais je me garde bien d'aller plus loin. Vous n'ignorez pas, mr Bourdillon, qu'on roi est comme un tisserand continuellement occupé à reprendre les fils de sa toile qui se cassent, ou, si vous l'aimez mieux, comme Sisiphe qui portait toujours son rocher au haut de la montagne & qui le voyait retomber, ou enfin comme Hercule avec les têtes renaissantes de l'hydre.
Mr Bourdillon me répondit: Il finira sa toile, il fixera son rocher, il abattra les têtes de l'hydre.
Je le souhaite, mon cher Bourdillon; & je fais des vœux au ciel avec vous pour qu'il réussisse en tout, & pour que les hommes soient moins asservis à leurs préjugés & plus dignes d'être heureux. Je ne doute pas qu'un grand juriconsulte comme vous ne soit en commerce de lettres avec un grand législateur. La première fois que vous l'ennuierez de votre fatras, dites lui, je vous en prie que
je suis avec un profond respect, avec admiration, avec dévouement
de sa majesté
le très humble &ca.