1768-03-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Prince Aleksandr Romanovich Vorontsov.

Monsieur, Si la satisfaction dont j'ai vu mr Bourdillon pénétré a été un peu altérée par l'apostasie de cet évêque de Cracovie, il goûte d'ailleurs une joie pure en voyant les dissidents rétablis dans les droits de l'humanité, et les progrès de la raison qui s'étendent chaque jour du nord au midi.
Il faut enfin que les hommes conçoivent que la religion ne doit servir qu'à unir les hommes et non à les diviser, que la morale ne peut faire que du bien et que le dogme a toujours fait du mal. C'est une vérité essentielle, dont il est temps de convenir. L'hydre des disputes théologiques a trop désolé la terre. Vous me feriez, monsieur, un sensible plaisir de me mander si votre auguste impératrice est d'accord avec le roi de Pologne. Ces deux têtes philosophiques me semblent faites pour être unies. Soyez sûr d'ailleurs que je vous garderai le plus profond secret. Il ne s'agit ici que de l'estime et de la confiance qu'ils se doivent l'un à l'autre. L'amitié n'est pas affaire d'état.

Conservez, monsieur, un peu de bonté pour un vieux serviteur qui est pénétré des plus respectueux sentiments pour votre mérite.

V.