1767-11-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Florence Pétronille La Live, marquise d'Épinay.

Ma belle philosophe a donc aussi chez elle un petit théâtre.
Ma belle philosophe qui sait bien qu'il vaut mieux jouer la comédie que de jouer au wisq, se donne donc ce petit amusement avec ses amis. C'est assurément le plaisir le plus noble, le plus utile, le plus digne de la bonne compagnie qu'on puisse se donner à la campagne. Mais il est bien plaisant qu'on excommunie dans le fauxbourg st Germain ce que l'on respecte à Villers-Cotterets. Il est vrai qu'on n'a jamais eu tant de raisons d'excommunier les Comédiens ordinaires du Roi. On prétend qu'ils sont en éffet diaboliques. Le public les fuit comme des excommuniés. On dit que ce tripot est absolument désert, et que de toutes les troupes après celles de la Sorbonne c'est la plus vilipendée. Il y en a une à Genêve qui le dispute à la Sorbonne, c'est la horde des prédicants. Depuis que le grand Tronchin l'a quittée, et qu'elle est abandonnée des médecins, elle est à l'agonie. Les autres citoiens ne se portent guères mieux, leur petite convulsion dure toujours. Il sera fort aisé de leur donner des loix, et impossible de leur donner la paix. Heureux qui se tient paisiblement dans son château! Il me parait que ma belle philosophe prend ce parti neuf mois de l'année; ainsi, je me tiens d'un quart plus philosophe qu'elle; mais elle est faitte pour Paris, et moi je ne suis plus fait que pour la retraitte.

Je suis bien respectueusement, véritablement, tendrement attaché à ma belle philosophe.