14e 8bre 1767, à Ferney
Mon cher ange, j'apprends qu'on vous a saigné trois fois.
Voilà ce que c'est que d'être gras et dodu. Si on m'avait saigné deux fois j'en serais mort. On dit que vous vous en êtes tiré à merveille. J'apprends en même temps votre maladie et votre convalescence; tout notre petit ermitage aurait été alarmé si on ne nous avait pas rassurés. Vous voilà donc au régime avec made D'Argental, et sous la direction de Fournier. Pour moi je suis dans mon lit depuis un mois; je suis plus vieux et plus faible que vous; il faut que je me prépare au grand voyage après un petit séjour assez ridicule sur ce globe.
La Comédie française me paraît aussi malade que moi. Je me flatte qu'après les saignées qu'on vous a faites, votre sang n'est plus aigri contre votre ancien et fidèle serviteur. Vous avez dû voir combien on a abusé de ma lettre à mlle Dubois, qui n'était qu'un compliment et une plaisanterie, mais dans laquelle je lui disais très nettement que j'avais partagé mes rôles entre elle et mlle Durancy. Il y avait longtemps qu'on vous préparait ce tour; on aurait beaucoup d'argent qu'on me doit. Je suis vexé de tous côtés; c'est la destinée des gens de lettres. Ce sont des oiseaux que chacun tire en volant, et qui ont bien de la peine à regagner leur trou avec l'aile cassée.
Je vous embrasse du fond de mon trou avec une tendresse qui ne finira qu'avec moi, mais qui finira bientôt.
V.