1756-01-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Élisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian.

Ma chère nièce, gardez ce que m. d'Argental vous a donné comme une fille garde son pucelage, et une femme son honneur, et gardez le bien mieux.
Si votre frère a la colique, je l'ai aussi; si vous avez les entrailles sèches, je les ai de même; si vous ne croyez pas aux médecins, je n'y ai point de foi. Il n'y a donc autre chose à faire pour Raphael que de traduire une belle épitaphe qu'on lui fit en latin. Cela a l'air plus historique, et par conséquent plus convenable à m. d'Argenville, qui a fait une histoire des peintres, histoire par parenthèse fort inutile puisqu'elle a été faite déjà trois ou quatre fois.

Je me flatte que m. Tronchin à qui j'ai envoyé votre adresse, vous a dépêché une recette pour les entrailles. Six parts égales d'huile, de manne et de casse ne suffisent pas, il vous prescrira de vous frotter le ventre avec de la pommade à la fleur d'orange. Il y a d'autres façons de se faire frotter, mais elles dessèchent, à ce qu'on dit. Ma chère nièce, je vous plains bien d'avoir des entrailles comme les miennes; c'est un douloureux tourment; on enrage les trois quarts du jour, ce n'est pas jouir de la vie. Votre sœur est grasse comme un moine, mais elle mange de même: elle en est quelquefois malade, et en est toute étonnée. Nous nous crevons dans notre ermitage de Monrion. Venez nous voir à celui des Délices quand les beaux jours viendront, et quand votre santé vous permettra d'aller. Je vous embrasse de tout mon cœur.