[c. 1 October 1767]
Monsieur!
Pardonnez, si je commence à répondre à votre lettre du 12 d'août, par la queue. Vous me faites trop d'honneur, en me donnant le titre d'Excellence: je ne mériterois pas certainement les éloges, que vous donnez à ma pitié, si j'acceptois un titre, qui ne me convient pas: la religion, que je professe, m'apprend à mépriser tous les titres en général, et à n'estimer dans les hommes, comme dans les méteaux, que la valeur intrinsèque: mais pour vous apprendre, ce qui me prive encore de la satisfaction de voir le mot d'Excellence, qui fait le mérite du trois quart de nos allemands décorer en grosses lettres les couverts de mes lettres, il faut que je prenne la liberté de vous donner un échantillon de l'étiquette de notre cour; ne fût-ce que pour la rareté du fait, d'avoir osé parler de ces petitesses, au plus grand philosophe de notre siècle.
Vous saurez donc Monsieur, qu'outre les charges de la cour, comme Grand maitre, Grand Ecuyer, Grand veneur &c. il n'y a que deux grades, celui de conseiller Intime d'Etat, et celui de chambellan; le premier donne le titre d'Excellence, le second, celui de Mr. le comte, ou de Mr. tout court. Le premier, quoique plus considérable, n'exclue pas la seconde noblesse, et s'achète même quelque fois; le second ne devroit être accordé, qu'à ceux, qui peuvent prouver, que huit de leurs ancêtres ont été assés infatués de leur postérité, pour n'épouser que des filles de condition, souvent maussades, quand même ils auroient été amoureux de la plus jolie bourgeoise; et quand même cette dernière auroit eu toutes les qualités, qui manquoient à l'autre, pour rendre un mari heureux. Moi, chétife parcelle de la cour, n'étant donc, qu'un très indigne chambellan, vous sentez bien Monsieur, que je ne suis, que Monsieur le comte, tout court sans Excellence. Mais en voilà assés sur la platitude des titres.
Venons à la lettre du Marquis de Mirande, que vous avez la bonté de m'envoyer; il faudroit mériter les Eloges, dont votre indulgente bonté comble de foibles exquises, pour pouvoir la réfuter comme il faut; l'humble passereau osera-t-il se mesurer à l'aigle, et mon homme ne m'a-t-il pas engagé par son imprudence à perdre le peu de bonne opinion que vous avez peut-être de moi. Il est vrai, qu'ayant eu le plaisir de connoitre Monsieur le Marquis de Mirande particulièrement pendant mon voyage d'Holande, je me flatte d'avoir assés bien saisi sa façon de penser, pour savoir combien il sera indigne de l'impiété et de la causticité de l'ammon de Basle; Mr. le Marquis est trop attaché à sa Religion, et connoit trop bien son pais, pour ne pas être outré des injures, que l'Ammon dit à l'un, et à l'autre. Si j'avois le génie supérieur du Baslois, je ne serois pas embarrassé de répondre au nom du Marquis: ne l'ayant point, il faudroit me taire, et ce seroit sans doute le parti le plus sûr; mais fier de la bonté de ma cause, je crois pouvoir combattre Mr. Erimbolt même à armes infiniment inégales. Vous jugerez notre différend Monsieur; Mais si je succombe dans ce combat, j'ose du moins défier, avec assurance, tous les hommes d'avoir une vénération plus distinguée et un attachement plus parfait pou vous que
Monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
le C. F
Je joins ici une bagatelle, que j'ai fait pour la première sortie de notre souveraine, avec deux quatrins, pour le Duc Albert de Saxe, et un petit billet à un chambellan attaché à ce Prince, mon grand ami. Vous vous étonnerez Monsieur, que je chante les grands, mais quand on a été comblé des bienfaits par une grande Princesse, il n'est pas étonnant, que sa maladie, et sa convalescence réveillent les sentimens, qu'elle inspire.