1767-07-07, de János Fekete, count of Galànta à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Comment vous exprimer les sentimens de reconnoissance que je ressens en recevant vôtre charmante lettre?
Comment mériter les éloges dont vous voulez bien honnorer mes foibles essais? Si ma vénération et mon attachement pour vous pouvoient croitre, ce procédé si indulgent à mon égard, et si digne de la bonté que vous avez toujours témoigné à ceux qui cultivent les lettres, l'augmenteroit encore. Daignez accorder vôtre amitié, Monsieur, à un homme que vous encouragez si obligeamment, et qui ne connoit pas de plus grande récompense pour les peines qu'il se donnera de faire des progrès dans la littérature, quand même ses succès égaleroient son ardeur, que de ne pas être indifférent au plus grand homme de son Siècle.

Quand on accueille les jeunes Auteurs, Monsieur, on est exposé à leurs importunités. Je prendrai la liberté de vous faire tenir par une occasion sûre ce que je ne croirois pas pouvoir confier à la Poste. En attendant j'ose joindre ici une petite Pièce que j'ai fait sur la maladie de Sa Majesté l'Impératrice Reine. Le cœur seul l'a dicté. Cette grande Princesse possède tous ceux de ses sujets; et quand on travaille pour Elle, les sentimens ne peuvent jamais manquer: mais quand on est dans mon cas, on souffre de la médiocrité de ses talens qui empêche d'exprimer dignement tout ce que l'on sent pour Elle.

J'ajoute encore quelques autres Pièces de vers que j'avois égarées, quand j'ai eu l'honneur de vous envoyer mon recueil. Elles sont presque toutes antérieures à celles que vous avez eues, et vous verrez que je faisois moins bien encore autrefois qu'à présent. La Pièce de prose porte sa date avec elle. Je ne vous accable de tous ces barbouillages que dans l'espérance que vous voudrez m'honnorer de vos conseils et de vos corrections.

Comme je connois la sécheresse de mon stile, j'ai cru devoir vous offrir quelques bouteilles d'une liqueur dont le feu manque sans doute à mes vers. Je ne croirois jamais pouvoir mieux employer le vin de Tokai qu'en le destinant à la conservation d'une santé si précieuse à l'Univers; mais si chère surtout à un homme qui vous respecte, vous honnore, et vous aime au delà de toute expression. Je me flatte, Monsieur, que vous voudrez bien agréer cette bagatelle de la part dea

Votre très humble et tres obéissant serviteur

le C. Jean Fekete
Chambellan de Leurs M. I. R. A.

P. S. Je suis bien heureu que vous m'ayés jugé digne de la pièce que vous avés bien voulu m'envoyer. Je l'avois lue il y a environ deux ans, mais il y en a près de douze que sa morale me sert de règle. Je vien de voir dans l'instant par le journal Enciclopédique que vous avés fait une nouvelle Tragédie qui porte le titre de nos encêtres et un nouveau Poème en plusieurs chant. Deignés me faire la grâce de m'envoyer ces nouvelles productions d'une Muse qui seul a le privilège de ne jamais vieillir. Soigneu de rassembler vos ouvrages je me croirai plus riche en possédent ces nouveaux trésors d'esprit qu'en héritant ceux du plus opulent financier. Si le correspondent de Mrs de Fries me fait tenir ce paquet par un voiturier et qu'en lui prometant une récompense de ma part il l'engage à ne pas le montrer à la douane, il arivera j'espère sans accident.