1767-05-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques Lacombe.

Je vous avais écrit monsieur que je vous préparais de petits changements.
Vous vous êtes hâté de faire votre nouvelle édition sans les attendre. Pendant ce temps là, le libraire Pellet en faisait encor une édition à Geneve; et les frères Perisse en commençaient une à Lyon, tandis qu'on en annonçait une autre à la Haye en Hollande. Il faut que la liberté scithe opposée à la fierté persanne ait éveillé par tout les gens qui lisent, car la pièce n'a pas fait le même plaisir à la représentation qu'à la lecture (du moins à Paris). Je n'ay eu d'autre party à prendre que celui d'envoyer les corrections et les enseignements nécessaires aux imprimeurs. L'exemplaire des Périsse est conforme au vôtre à un vers près.

J'ay substitué

Des cœurs tels que le sien sont indignes d'aimer.

à celui cy,

Il n'est que les grands cœurs qui soient dignes d'aimer.

Les frères Périsse dans leur avis disent que je n'avais pas eu le temps d'envoyer aux comédiens ny même à vous les changements dont ils ont fait usage, et en effet la chose est très vraye.

Si vous aviez pu m'écrire plustôt vous n'auriez pas été prévenu par les frères Périsse. Au reste ils ont mes lettres. Je ne leur ay écrit que pour leur recomander d'en tirer très peu d'exemplaires.

Au reste une pièce de théâtre est un petit objet. Je voudrais pouvoir vous fournir quelque chose qui en valut la peine, mais je suis bien vieux et bien malade.

Si vous faites une nouvelle édition ayez la bonté de m'avertir sur le champ.

Si on n'a pas aimé cette simplicité de dialogue

N'as tu rien remarqué? — Non,

il n'y aurait qu'à mettre,

J'ay cru voir sur son front des signes de fureur.

SOZAME

Quel en serait l'objet etc.

Pour les autres changements permettez moy de n'y pas penser. Je suis accablé d'affaires et de maladies, et vous me feriez d'ailleurs une peine extrême.

Je vous prie de m'envoier ce petit receuil de contes que vous dites avoir été imprimé. N'oubliez pas le nom de l'autheur du supplément à la philosophie de l'histoire.

Adieu, mon amitié compte sur la vôtre.

NB. Vous me dites que la police ne veut pas passer ces vers

Mais des sanglantes loix par vos ayeux dictées
Il est vous le savez des têtes exceptées
etc.

Il faut se soumettre à cette délicatesse de la police quoy que je n'en conçoive pas la raison. Mettons donc,

SOZAME

Je vous l'ay déclaré,
Je révère un usage antique et consacré,
Mais il est dangereux, les Persans sont à craindre.
A se vanger sur vous, vous allez les contraindre.

UN SCITE

Ces persans que du moins nous croions égaler
Par ce terrible exemple apprendront à trembler.

Moyennant ce changement, Obeide dirait à son père,

Les Persans disiez vous vangeront leur outrage,

au lieu de

Les Persans croyez moy vangeront leur outrage.

Je vous donne bien de la peine pour peu de chose. Voilà ce que c'est que d'être à 120 lieues l'un de l'autre.

J'envoye à Perisse ces corrections afin que tout soit uniforme.

Mr et me de la Harpe, mademoiselle Corneille devenue madame Dupui, mr de Chabanon et plusiautres personnes viennent de jouer les Scites. On n'a jamais plus d'effet, mais c'est qu'il n'y avait point de cabale.