à Paris ce 6 avril 1767
Je vous remercie, Mon cher Maitre, de l'ouvrage de mathématique que vous m'avés envoyé; il auroit grand besoin d'un Errata, étant rempli de fautes dont quelques unes sont absurdes; je désirerois fort que vous pussiés faire parvenir à l'auteur une douzaine d'exemplaires pour quelques bons Mathématiciens de ses amis.
J'imagine que la première partie de l'ouvrage aura été réimprimée en même temps que le supplément, sur l'exemplaire que vous avés reçu, corrigé de la main de l'auteur; il se flatte que les imprimeurs y auront moins fait de bévues que dans l'impression du manuscript.
Le 5ème volume de mes Mélanges ne paroit point encore ici, grâce à la négligence de l'imprimeur Bruyzet de Lyon, qui n'en a point encore envoyé; les matières que j'y ai traitées, et la manière dont elles le sont, me mettront à l'abri de la criaillerie des fanatiques, qui devient ici plus odieuse et plus importune que jamais. Cette vermine est une vraie plaie d'Egypte, et qui par malheur a l'air de durer longtemps. Ils sont actuellement aux trousses de Marmontel, qui je crois s'est trop avancé avec eux, et qui aura de la peine à s'en tirer. Ils ont écrit un gros volume de censures pour expliquer ou plutôt pour embrouiller leur barbare et ridicule doctrine.
J'ai lu avec grand plaisir une certaine anecdote sur Bélisaire où cette maudite et plate Engeance est traitée comme elle le mérite; j'aurais voulu seulement que l'auteur eût ajouté un petit compliment de condoléance à la Sorbonne sur l'embarras où elle doit être au sujet du sort des Payens Vertueux; car si ces Payens sont damnés, dieu est atroce et s'ils ne le sont pas, on peut donc à toute force être sauvé sans être chrétien. Damné ou sauvé, dieu nous garde d'être en l'autre monde dans la compagnie des docteurs.
Votre ami Jean-George de Pompignan, par la permission divine Evêque Dupuy et frère de Simon-le-Franc, a refusé de faire l'oraison funèbre de made la Dauphine, pour laquelle l'archevêque de Rheims l'avoit fait nommer, par quelque raison d'intrigue qu'on ignore. Jean-George a senti qu'il n'y feroit pas bon pour lui, & que ceux qu'il a appellés mauvais chrétiens, pouroient bien lui prouver qu'il est encore plus mauvais orateur.
Les pédans au long Rabat viennent d'ordonner aux Evêques de s'en retourner chacun chez eux, par ce qu'ils tenoient, dit-on, des assemblées secrettes. On ne sçait ce qu'il en arrivera; mais pendant que ces fanatiques batteront, la raison aura peut-être quelques moments pour respirer. Adieu, Mon cher Maitre, on m'a assuré que les Scythes avoient bien réussi aux deux dernières représentations, recevez en mes compliments. Vale et me ama. Mes respects à madame Denis.
Savez vous que Rousseau a une pension de 2400lt du Roi d'Angleterre? Un honnête homme ne l'aurait pas obtenue.
d'Alembert