1742-08-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Anne Antoinette Françoise de Champbonin.

On a retenu, ma chère amie, la vivacité de mes sentiments, & l'on a réglé que celui des voyageurs qui ne vous est pas le moins attaché, serait le dernier à vous écrire.
Nous voilà donc dans la ville de la sainte-ampoule. Je vous jure que madame la marquise du Chastelet n'a jamais été plus aimable. Elle a enchanté toute la ville de Rheims; &, comme de raison, ceux à qui elle plaît tant, lui ont donné en un jour deux pièces en cinq actes, l'une avant souper & l'autre après. La dernière a été suivie d'un bal qu'on n'attendait pas & qui s'est formé tout seul. Jamais elle n'a mieux dansé au bal. Jamais elle n'a mieux chanté à souper; jamais tant mangé, ni plus veillé. Elle loge chez mon ami m. de Pouilly, homme d'une vaste érudition, & cependant aimable, doux, facile, comme s'il n'était pas savant; digne enfin de loger Emilie. Au lieu d'y coucher une nuit, elle en passe trois dans cette bonne ville. Nous partons demain sous l'étoile d'Emilie qui nous conduit. Vous qui tenez sa place à Cirey, faites des vœux pour un prompte conclusion de nos affaires: je dis nos affaires, car celles d'Emilie sont les nôtres, & nous avons certainement vous & moi, un très gros procès contre m. de Hombrouck. Il y a au Chambonin & à Paris deux personnes qui me seront toujours bien chères, & auxquelles je vous prie de parler toujours de moi; c'est m. de Chambonin & votre fils. Je vous aime, madame, dans tout ce qui vous appartient. Adieu, gros chat. Je vous embrasse si tendrement, qu'Emilie m'en grondera.