1767-03-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Augustin Louis Marie Texada, marquis de Ximénès.

Je vous ai déjà mandé monsieur le marquis que je n'avais jeté sur le papier que des notes informes, de simples indications pour me faire souvenir de ce que je dois dire quand vous m'aurez envoyé le reste.
Si vous ne me l'envoyez pas que puis je faire? Rien. Je sais bien que Racine est rarement assez tragique; mais il est si intéressant, si adroit, si pur, si élégant, si harmonieux, il a tant adouci et embelli notre langue rendue barbare par Corneille, que notre passion pour lui est bien excusable. Mr de La Harpe est tout aussi passionné que nous. Il s'indigne avec moi qu'on ose comparer le minéral brut de Corneille, à l'or pur de Racine.

Vous savez qu'il a répondu à l'abbé de Rancé et que l'épitre du moine vaut beaucoup mieux que l'épitre de l'abbé. Je présume qu'il vous a envoyé les corrections nécessaires qu'il a faites à ce bel ouvrage. Je me flatte que vous en ferez faire plusieurs copies pour l'édification de ceux qui aiment la raison et les vers.

Si vous n'avez vu les Scithes que dans l'édition des Cramer, vous n'avez point vu la pièce. Je la corrige tous les jours, et j'y ai fait plus de cent vers nouveaux. On n'a jamais fini avec une tragédie. Il est beaucoup plus aisé de faire toute l'histoire de Rollin, qu'une seule pièce de théâtre. Je ne sais si on jouera les Scithes avant ou après Pâques et si même on les jouera jamais. J'ai fait cette pièce pour m'amuser, pour la jouer à Ferney. Si elle peut servir à faire gagner quelqu'argent aux comédiens de Paris, à la bonne heure. Nous fermons notre théâtre à Ferney tant que madame la dauphine sera en danger. Je vous assure pourtant que je ne crois pas qu'elle meure et ma raison c'est que les médecins l'ont condamnée.

Adieu, monsieur, mille tendres respects du meilleur de mon cœur.

V.