Monsieur,
J'ai besoin de cette ivresse de travail pour n'être pas sans cesse occupé des malheurs de ma patrie; à portée, comme je le suis, de connaître les intentions du roi, instruit d'ailleurs du délire opiniâtre de mes insensés concitoyens, je vois avec la plus profonde douleur les malheurs qu'ils se préparent en faisant semblant de courir après la liberté, les malheureux vont perdre leur patrie, les extrêmes se touchent, ils étaient trop heureux. La démarche qu'ils ont faite vis à vis m. le résident a paru ici un persiflage. J'ai reçu de m. Vernet une lettre qui lui ressemble fort, aussi ne lui ai je pas répondu, c'est se moquer que de parler de dévouement et de respect quand on manque si solemnellement au respect et au dévouement qu'on doit à un monarque qui joue le rôle de père, et qui n'a cessé de faire ressentir les effets de sa bienveillance et de sa protection; l'orgueil ira toujours devant l'écrasement, de quelque manière qu'il se masque. Vous le voyez, mon cher monsieur, sous bien des formes; ils feront périr ma pauvre patrie, car quand l'orgueilleux délire du jour finirait, à moins qu'il ne finît incessamment, les plaies qu'il a déjà portées à la prospérité et au commerce laisseront après elle des cicatrices profondes. Que sera ce si par un abandon du ciel ces plaies subsistaient encore plusieurs mois. Le commerce et la prospérité semblables aux rivières qui changent de lit n'y rentrent point. La fin du délire et la misère entraînent ordinairement le désespoir après elles. Les auteurs de tant de maux en seront les victimes. Le roi n'en démordra pas, je le tiens de sa bouche. Tout ce que je prévois brise jour et nuit mon âme, je ne goûte pas un moment de repos, car j'aime avec passion ma patrie. Dites ceci à qui voudra l'entendre, au moins n'aurais je rien à me reprocher, souvenez vous souvent, mon cher monsieur, que je vous l'ai dit, je vous appellerai à témoignage, en attendant je ferai des vœux et je gémirai en silence.
à Versailles ce 8 février 1767