1767-02-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Philippe Antoine de Claris, marquis de Florian.

Je reçois un billet bien consolant de Mehemet Saïd Effendi, dont le rosier soit toujours fleuri, et dont Dieu perpétue les félicités! Ce petit raïon de lumière a dissipé beaucoup de brouillards.
Nous ne savons point encor de détails, mais nous sommes tranquiles et nous ne l'étions point. Ce Turc est un habile homme; il est expéditif. Le Muphti devrait bien emploier des hommes de son espèce, il y en a peu. Nous l'embrassons tendrement tous tant que nous sommes.

J'ai reçu une lettre très sage et très bien écrite de ce jeune infortuné Maurival. Il est cadet, il est vrai, mais il est engagé. Les Cadets n'ont pas plus de liberté que les soldats. Je ferai ce que je pourai auprès de son maître, mais je connais le terrein, rien n'est plus difficile que d'obtenir une distinction, et il est impossible d'obtenir un congé.

Le père est un homme bien odieux; dans toutes les règles c'était lui qu'on devait punir. Ce sont les vices du cœur et non des étourderies de jeunesse qui méritent l'éxécration publique. Mon indignation est aussi forte que les premiers jours. Heureusement le maître de ce jeune homme pense comme moi sur cet article. Nous verrons ce qu'on en poura tirer. Ce maître comme vous savez m'écrit depuis quelque tems les lettres les plus tendres. Vous voyez qu'il ne faut ni compter sur rien, ni désespérer de rien.

Nous avons toujours la guerre et la neige, mais nous sommes délivrés de la famine. Mes paquets étaient faits, mais je reste dans mon lit.

Je vous embrasse tous avec la plus extrême tendresse.

V.