14e janv: 1767
Mon cher grand Ecuier de Babilone, il est juste qu'on vous envoie les Scithes et les Persans, celà amusera la famille.
Nôtre abbé turc y a des droits incontestables. Vous pourez prier mlle Durancy à diner, elle trouvera son rôle noté dans l'exemplaire que je vous enverrai. Voilà pour vôtre divertissement du carnaval. Nous répétons la pièce icy. Elle sera parfaittement jouée par mr et made Laharpe, et j'espère qu'aprés Pâques mr de Laharpe vous raportera une pièce intéressante et bien écrite.
Nous remercions mon Turc bien tendrement. Made Denis et moi, nous l'aimons à la folie, puisqu'il a du courage et qu'il en inspire; c'est une énigme dont il devinera le mot aisément.
Je viens d'écrire à Maurival, ou plutôt de lui faire écrire, et dès que j'aurai sa réponse j'agirai fortement auprès du prince dont il dépend. Ce prince m'écrit tous les quinze jours, il fait tout ce que je veux; Les choses dans ce monde prennent des faces bien différentes; tout ressemble à Janus, tout, avec le temps, a un double visage. Ce prince ne connait point Maurival sans doute, mais il connait très bien son désastre. Il m'en a écrit plusieurs fois avec la plus violente indignation et avec une horreur prèsque égale à celle que je ressens encor. Il y a des monstres qui mériteraient d'être décimés. Je vous prie de me dire bien positivement si le premier mémoire que vous eûtes la bonté de m'envoier de la campagne est éxactement vrai. En cas que le frère de Maurival veuille fournir quelques anecdotes nouvelles vous pourez nous les faire tenir sous l'envelope de mr Hennin, Résident du Roi à Genêve.
Vous savez que nous sommes actuellement environnés de troupes comme de tracasseries. Nous mangeons de la vache, le pain vaut cinq sous la livre, le bois est plus cher qu'à Paris. Nous manquons de tout excepté de neige. Oh! pour cette denrée nous pouvons en fournir l'Europe; il y en a dix pieds de haut dans mes jardins et trente sur les montagnes. Je ne dirai pas que je prie Dieu qu'ainsi soit de vous. Florianet a écrit une Lettre charmante en Latin à Père Adam. Je vous prie de le baiser pour moi des deux côtés. J'embrasse de tout mon cœur la mère et le fils.