Plaisence le 9 juin 1763
Monsieur,
Le monde entier est plein de vôtre nom dont la gloire ne s'éteindra que Lors que tout se réduira en cahos.
Permettez à un militaire qui est votre admirateur sans flatterie de vous rendre l'hommage qui vous est deû par tous égards. Vous étant inconnu, vous este dans le cas de demander, qui suis-je? Je vais Monsieur vous satisfaire. Je suis fils d'un de ces infortunés Irlandois qui passèrent en France à la suite de jaques 2d. Né en France j'ai fait mes études à Paris. Après la mort de mon Père je passai à Londres pour revendiquer mes biens. Les difficultés que je trouvai de la part du ministère firent que je retournai en France. La longue paix où la noblesse croupissoit, la maigre générosité de M. le cardinal de Fleury en 1730 m'engagèrent à passer en Espagne où la guerre d'Afrique étoit allumée. J'y étois capitaine Lorsqu'en 1741, désirant faire fortune par le moien de quelques amis, j'écrivis au Roi de Prusse que je voiois en campagne, et je lui offris mes services. Ce monarque daigna me répondre par une Lettre des plus gratieuses que je garde respectueusement, mais dans L'intervalle de cette réponce L'Espagne s'étant déclarée pour la guerre d'Italie, et le régiment où j'étois capitaine étant nommé pour cette expédition, je récrivis à S. M. le motif qui me retenoit de demender mon congé, et ma délicatesse fut approuvée. Dans le cours de toutte la guerre j'ai fait tout ce qu'un homme d'honneur pouvoit faire pour mériter un avancement et des grâces, et je n'ai pû obtenir qu'un stérile grade de colonel. C'est en cette qualité que je suis attaché à L'Infant Duc de Parme. L'affaire du Royaume de Naples qui devoit être décidée en faveur de ce Prince étant échouée, je ne puis que me plaindre de la fortune qui me réduit à vivre oisif et fort peu à mon aise. Cependant pour dissiper mes ennuis je me suis amusé à faire l'histoire de la guerre que la Pragmatique sanction a occasionné en Europe. Cet ouvrage est assé avencé, et je pense qu'il peut être digne de quelqu'attention. Je dois au reste vous confier Monsieur que j'ai laissé ignorer ce que je me suis hazardé d'entreprendre, car devant parler avec vérité de faits qui regardent des personnes qui sont encore en vie, la vérité qui est toujour Louable pouroit ne pas être agréable, et je ne suis point en état d'être au dessus des inimitiés. Prévenu de vôtre générosité également que de vôtre gloire j'ai l'honneur de vous demander conseil. Vous connoissez parfaitement le Roi de Prusse. En retournant à m'offrir à ce monarque, est il de caractère assé généreux pour faire du bien à un officier qui n'a eu pour lui que des désirs, et qui pouroit encore utilement emploier à son service le reste de sa vie? Je ne dois point cacher que je suis pauvre, mais il ne seroit pas prudent de m'exposer à perdre le peu que j'ai. Daignez m'honnorer de vôtre réponce en me disant vôtre sentiment avec sincérité. Si j'avois le bonheur d'être connu de vous je me flatterois de vous paroitre digne de vôtre estime. Faite moi la grâce d'être persuadé de celle avec la quelle je me fais un devoir de me dire respectueusement
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Le Cher de Power
J'envoie celle-cy à Mr Paul Maystre de Geneve qui est actuellement à Genes. C'est par le canal de sa maison qui est à Genes que j'attends l'honneur de votre réponce.