12e janv: 1767, à Ferney par Lyon
Non, Monsieur, vous n'êtes point mon Libraire, vous êtes mon ami, vous êtes un homme de Lettres et de goût, qui avez bien voulu faire imprimer un ouvrage d'un de mes autres amis, et qui voulez bien vous charger de donner une édition correcte des Scithes, dès que je pourai vous faire connaitre l'original.
Je vous avoue que l'auteur du Triumvirat m'a confié qu'il est fort affligé que vous aiez tiré plus de sept cent cinquante éxemplaires de son ouvrage. Vous ne pouviez guères en débiter un plus grand nombre dans l'indifférence où l'on est aujourd'hui sur tout ce qui peut n'être que bon, et qui n'est pas annoncé au public par un grand succez au théâtre. La multitude de ces écrits est si prodigieuse que les nouvaux venus se perdent dans la foule. S'il est vrai que vous n'aiez tiré qu'environ neuf cent éxemplaires, il dit que c'est cent cinquante de trop. Il vous prie d'en envoier des éxemplaires à mr De Lutteau, correspondant du journal Enciclopédique et du Mercure, à mr Gaillard, chargé de la partie des belles Lettres au journal des Scavants, à mr d'Amilaville au bureau des vingtièmes, quai st Bernard (deux éxemplaires). Il vous suplie de faire corriger à la main, dans tous ces éxemplaires que vous enverrez, la page 29 J'irai chercher Pompée, mettez, J'irais chercher Pompée, et à la page 138 ceux de Mintiane, corrigez, ceux de Minturne.
On vous prie aussi d'ajouter à l'errata qu'on vous a envoié un changement nécessaire à la page 29. Mon ami a raison de vouloir que, sa pièce n'étant point intéressante, elle soit aumoins correcte. Il y a deux fois heureuxà cette page 29 à trois vers l'un de l'autre,
Pardonne Ciceron, de Rome heureux génie,
mettez
Ciceron, j'outrageai ta cendre et ton génie.
Si vous vouliez faire plaisir à l'auteur de l'ouvrage, vous en feriez une seconde édition en sacrifiant les éxemplaires de la première qui vous restent. Cette seconde édition se vendrait surtout à la faveur de celle des Scithes avec une petite préface par laquelle vous avertiriez que vous joignez ces deux pièces ensemble ainsi que d'autres morceaux de littérature que vous avez cru mériter l'attention des connaisseurs.
Aureste, j'ai préparé un avis au public dans lequel je dis, que le sr Duchêne qui demeurait au Temple du goût, mais qui n'en avait aucun, s'est avisé de défigurer tous mes ouvrages, et qu'il a obtenu un privilège du roi pour me rendre ridicule. Je crois du moins que son privilège est expiré, et qu'il m'est permis de donner mes ouvrages à qui bon me semble. Mesrs Cramer ont imprimé les Scithes au milieu des troubles de Genêve, et la pièce est si fautive qu'elle est toute corrigée à la main. On n'en débitera aucun éxemplaire en France. Le sentiment de mr Le Duc De Praslin et de mr le Duc De Choiseuil à qui la pièce est dédiée, est qu'on puisse la jouer à Paris avant qu'on la débite. On peut regarder leur opinion comme un ordre. Vous pouriez toujours vous munir d'une permission. Je vous enverrai la pièce dés que vous le voudrez. Vous en garderez tous les éxemplaires presqu'à ce qu'il soit convenable de faire la vente, et je vous prierai toujours de n'en tirer d'abord que sept cent cinquante en conservant les dernières planches pour me donner le loisir de corriger dans une nouvelle édition ce qu'on aura trouvé de répréhensible. J'attends vôtre réponse en vous embrassant de tout mon cœur.
V.