29 décembre [1766] à midy
Je vous ay déjà écrit ce matin mon cher ange — à vous seul, comme touttes les précédentes.
Il n'est plus question de faveur, ce nouvau mémoire que j'envoie à mr le vice chancelier, et dont voicy la copie, doit convaincre que nous ne demandons que la plus exacte justice.
Si on saisit l'équipage de madame Denis, si on luy fait racheter son carosse et ses chevaux, pour avoir introduit dans le Roiaume des livres abominables, elle est déshonorée dans la province et ne peut plus y rester. Il serait horrible qu'un commis de bureau fût récompensé pour avoir prévariqué, et qu'une femme qui mérite de la considération fût flétrie. Il ne luy resterait que d'aller m'enterer dans les pays étrangers. Mais avant ma mort, j'aurais la funeste consolation de rendre les persécuteurs exécrables.
Il ne s'agit au bout du compte que de colportage, et ny madame Denis ny moy ne pouvons être des colporteurs. Je sçais bien qu'en France sur un simple soupçon souvent absurde on peut perdre un honnête homme, et même un homme qui mérite des ménagements. Encor une fois mon cher ange voicy le mémoire sur le quel il faut insister.
Mais le point préalable, le point nécessaire c'est de faire chasser sans délay le nommé Jeannin, contrôleur du bureau de Saconnai près de Geneve et de s'adresser pour cela à mr de Courteille, ou à qui vous jugerez à propos. C'est ce que je vous dis dans mon autre lettre du 29 sous le couvert de Mr le duc de Pralin.
Pardon de tant de lettres, mais on ne peut s'expliquer qu'avec des paroles.
Comptez que ma douleur n'est pas le plus vif de mes sentiments.