26e 7bre 1766
Si vous êtes chêvre, Madame, il n'y a personne qui ne veuille devenir bouc; mais vous m'avouerez que de vieux singes devenus tigres sont une horrible espèce.
Comment se peut il faire que les êtres pensants et sensibles, ne cherchent pas à vivre ensemble dans un coin du monde à l'abri des coquins absurdes qui le défigurent? Je jouïs de cette consolation depuis quelques années, mais il y a des êtres qui me manquent. J'aurais voulu vivre surtout avec vous et vos amis. Il est vrai que le petit nombre de sages répandus dans Paris peut faire beaucoup de bien en s'élevant contre certaines atrocités, et en ramenant les hommes à la douceur et à la vertu. La raison est victorieuse à la longue, elle se communique de proche en proche. Une douzaine d'honnêtes gens qui se font écouter produit plus de bien que cent volumes. Peu de gens lisent, mais tout le monde converse, et le vrai fait impression.
Vôtre petit Mazar, madame, a pris, je crois, assez mal son temps pour apporter l'harmonie dans le temple de la discorde. Vous savez que je demeure à deux lieues de Genêve, je ne sors jamais; j'étais très malade quand ce phénomêne a brillé sur le noir horison de Genêve. Enfin, il est parti à mon très grand regrêt sans que je l'aïe vu. Je me suis dépiqué en faisant jouer sur mon petit théâtre de Ferney des opéra-comiques pour ma convalescence. Toute la troupe de Genêve, au nombre de cinquante, a bien voulu me faire ce plaisir. Vous croiez bien que l'auteur de la Henriade a fait jouer Henri 4. Nous avons tous pleuré d'attendrissement et de joie quand nous avons vu la petite famille se mettre à genoux devant ce bon roi. Tout celà est consolant, je l'avoue, mais il y a trop de méridiens entre vous et moi. Mon malheur est que mon château n'est pas une aîle du vôtre. C'est alors que je serais heureux. Made Denis pense comme moi. Permettez nous d'embrasser mr Grimm. Adieu, Madame, vivez heureuse. Agréez mon très tendre respect.