1766-08-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Je suis tantôt aux eaux et tantôt à Ferney, mon cher frère: je vous ai écrit par made de Saint Julien, sœur de m. le marquis de la Tour du Pin, commandant en Bourgogne, et parente de m. le duc de Choiseuil.
Elle est venue avec m, son frère, et a bien voulu passer quelques jours dans ma retraite. Elle a la bonté de se charger d'une lettre pour vous, dans laquelle il y en a une pour m. de Beaumont. En voici une autre que je vous envoie pour ce défenseur de l'innocence.

J'ai vu m. Boursier pour qui vous avez toujours les mêmes bontés; il n'a pas été embarrassé un moment des calomnies qu'on a fait courir sur sa manufacture; il est toujours dans les mêmes sentiments. C'est bien dommage que ses forces ne répondent pas à son zèle; car il est comme moi dans sa 73e année. Il désirerait fort d'être secondé par des personnes d'un âge mûr qui semblent avoir tourné leurs vues d'un autre côté. Il se plaint beaucoup d'un de ses camarades qui ne lui a pas répondu. Pour moi, mon cher ami, je n'entends plus rien aux affaires de ce monde. J'y vois quelquefois des abominations qui atterrent l'esprit et qui lient la langue. On dit que dans certaines îles, quand on a coupé la jambe à un nègre, tous les autres se mettent à danser.

Le gros recueil dont vous m'avez parlé ne paraîtra donc point? Cela est triste pour ceux qui veulent s'instruire. Il me semble que la proposition qu'on avait faite à votre ami, était bien convenable.

J'attends enfin le mémoire de m. de Beaumont. Je suis toujours très persuadé que ce mémoire mettra le sceau à sa réputation: mais pour les Sirven, ils pourront bien n'être justifiés que par le public. Cala suffit, c'est le premier des tribunaux.

Je vous demande en grâce de me faire avoir le mémoire de feu monsieur de la Bourdonnaye. Il manque à mon petit recueil des causes véritablement célèbres.

Adieu. Vos sentiments sont ma plus chère consolation.