1766-08-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Je vous prie, mon cher monsieur, de n'écrire qu'à moi le résultat de nos affaires.
Il n'y a point d'autre adresse qu'à m. Boursier, chez m. Souchai, au Lyon d'or, à Genève. Mes associés sont toujours dans les mêmes sentiments. Il y a des blessures que le temps guérit, il y en a d'autres qu'il envenime.

Nous avons reçu toutes vos lettres. Les espérances que vous nous avez données nous ont apporté quelques consolations; mais les idées que nous avons conçues sont si flatteuses que je crains bien que ce ne soit un beau roman.

Je vous l'ai déjà dit, les plus petits liens arrêtent les plus grandes résolutions. Il y a des monstres qui n'ont subsisté que parce que les Hercules qui pouvaient les détruire, n'ont pas voulu s'éloigner de leurs commères.

Comme on s'entretient de tout à Geneve, on a beaucoup parlé de la fausse démarche du parlement. Nos politiques prétendent que si le parlement s'était contenté de présenter humblement au roi le mémoire de m. de La Chalotais, il aurait touché sa majesté au lieu de l'aigrir. Pour moi qui ne suis point politique et qui ne me mêle que des affaires de mon commerce je ne décide point sur ces questions délicates. Je joins comme vous un peu de philosophie à mes occupations, et c'est là que je trouve le seul soulagement qu'on puisse éprouver dans le malheurs de la vie.

Aurons nous bientôt le mémoire de m. de Beaumont? J'ai entendu parler confusément de ces jeunes écervelés d'Abbeville; mais comme on dit que ce sont des enfants de 15 à 16 ans, je crois qu'on aura pitié de leur âge, et qu'on ne leur fera point de mal.

Nous vous sommes plus tendrement attachés que jamais.

V. t. h. srs

Boursier et compagnie