1766-05-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Chrysostome de Larcher, comte de La Touraille.

Je suis, Monsieur, comme les vieux philosophes grecs qui se consolaient dans leur vieillesse par l'idée d'être remplacés, et qui voiaient avec plaisir s'élever des jeunes gens qui devaient aller plus loin qu'eux.
C'est une satisfaction que vous me faittes goûter. Vous rendrez plus de service que personne à cette pauvre raison humaine qui commence à faire des progrès. Elle a été obscurcie en France pendant des siècles. Elle fut agréable et frivole dans le beau siècle de Louïs 14, elle commence à être solide dans le nôtre; c'est peut être aux dépends des talents, mais à tout prendre, je crois que nous avons gagné beaucoup. Nous n'avons aujourd'hui ni des Racines, ni des Molières, ni des La Fontaines, ni des Boileau, et je crois même que nous n'en aurons jamais, mais j'aime mieux un siècle éclairé qu'un siècle ignorant qui a produit sept ou huit hommes de génie. Et remarqués que ces écrivains qui étaient si grands dans leur genre, étaient des hommes très petits en fait de philosophie. Racine et Boileau étaient des jansénistes ridicules, Pascal est mort fou, et la Fontaine est mort comme un sot. Il y a bien loin du grand talent au bon esprit.

Je vous suis très obligé de vôtre souvenir; et je me souviens toujours avec douleur que vous avez été à Dijon qui est ma province, et que je n'ai pu avoir l'honneur de m'entretenir avec vous. Mais vos Lettres m'attachent à vous, Monsieur, autant que si j'avais eu le bonheur de vous voir. Continuez vos bontés à vôtre très h: o: s:

V.