1er 9bre 1770
Mon cher prophète, je suis toujours Job, quoi que vous en disiez, car qui souffre est Job et tout lit est fumier. J’avoue que vous ne ressemblez point aux amis de Job et bien m’en prend: c’est vous que je dois remercier des lettres des rois de Prusse et de Pologne; c’est à la manière dont vous leur parlez de moi que je dois celle dont ils parlent.
Mon cher prophète, vous avez beau rire, les oraisons funèbres de l’évêque du Puy ne vaudront jamais celles de bossuet; les pièces de Racine seront toujours mieux écrites que celles de Crebillon; Boileau l’emportera sur les pièces de vers qu’on nous donne; le style de Pascal sera meilleur que celui de Jean Jacques; les tableaux de Poussin, de le Sueur et de Lebrun l’emporteront encore sur les tableaux du salon; et sans les deux frères D. je ne sais pas trop ce que deviendrait notre siècle. Il y a une distance immense entre les talents et l’esprit philosophique qui s’est répandu chez toutes les nations. Cet esprit philosophique aurait dû retenir l’auteur du système de la nature; il aurait dû sentir qu’il perdait ses amis et qu’il les rendait exécrables aux yeux du roi et de toute la cour. Il a fallu faire ce que j’ai fait et si l’on pesait bien mes paroles, on verrait qu’elles ne doivent déplaire à personne.
J’envoie à mon prophète des rogatons dépareillés qui me sont tombés sous la main. Je reçois dans ce moment une lettre charmante de ma philosophe. J’aurai l’honneur de lui écrire sitôt que mes maux me donneront un moment de relâche.