Paris, 31 décembre 1751
Voltaire m'a envoyé son livre en me priant de lui envoyer des critiques, c'est à dire des louanges.
J'ai beaucoup hésité à lui écrire, parce que je crains de le contredire, et que d'un autre côté je voudrais bien que son ouvrage fût de façon à être admis dans ce pays ci, et qu'il l'y ramenât. C'est le plus bel esprit de ce siècle, qui fait honneur à la France, et qui perdra son talent quand il aura cessé d'y habiter; mais c'est un fou que la jalousie en a banni. Je l'ai entendu toute sa vie déclamer contre le siècle de ce que l'on ne faisait rien pour les hommes célèbres. On en récompense un que sa vieillesse met hors de pair, et dont les talents restaient sans récompense sans madame de Pompadour; et Crébillon fait sur lui l'effet que Cassini a fait sur Maupertuis. Tel qu'il est pourtant, il faudrait, s'il était possible, le mettre à portée de revenir, et cet ouvrage en pourrait être l'occasion. C'est ce qui m'a déterminé à lui envoyer des remarques sur le premier tome dont vous trouverez ici une copie.
Le défaut de ce premier tome en général, et qui en est un grand, c'est, comme vous l'avez remarqué vous même, que Louis XIV n'y est pas traité à beaucoup près comme il doit l'être. Mais le second tome, dont j'ai lu les deux tiers, répare bien tout cela; c'est un autre climat. Louis XIV y reparaît dans toute sa splendeur. Je n'ai rien vu de comparable ailleurs, ni pour la gloire du roi, ni pour celle de la nation. J'ai reconnu quelquefois avec plaisir que j'avais pu lui être utile, mais il ne s'en est pas souvenu.
Il raconte le mariage de madame de Maintenon et en fait l'apologie, matière hardie et délicate sur laquelle il y a à réfléchir.
Mais, en vérité, il n'y a ni Titien, ni Rubens, dont le coloris égale le sien.