Paris ce 1er mai 1755
. . . Vous me parliez aussi, dans votre dernière, d'un premier chant de la Pucelle qui paraissait, et qui devait être suivi d'onze autres. Autre grossesse tardive, (ajoutez-vous, par allusion aux lenteurs de mon édition). Vous me demandiez ce que j'en pensais; le voici:
Je crois que ce qu'il en vient de paraître, ou pour mieux dire, de reparaître, ressemblera quant à l'événement à la prétendue tragédie de Cromwel de notre Crébillon, dont tous les coins de rue et moi sommes las d'avoir entendu déclamer une soixantaine de vers lugubres, sans qu'au diable on ait jamais vu un mot du reste, que l'auteur annonce toujours gravement, comme une très belle pièce existante. Les grues, le col allongé, attendent ce chef-d'œuvre, comme les pauvres Juifs leur malheureux Messie, sans s'aviser que ce reste fût-il fait, la triste destinée de Catilina déclamé trente ans durant, avant sa première et dernière apparition, et la lecture de Xerxès, imprimé vingt-cinq ans après la première et dernière représentation, doivent naturellement dégoûter le poète de se produire sur la foi d'un pareil manège.
Encore une fois, les onze chants qui nous doivent revenir de la Pucelle, pourraient bien ressembler aux quatre actes et demi de Cromwel. Il faut des échasses à la muse de Voltaire; la Pucelle doit marcher en patins: c'est le moyen de se crotter. Ceci demande naturel et gaieté. Que devient la coquette sans mouche, rouge ni rubans? Ce poème, à coup sûr, est une besogne qu'il aura commencée par gageure. Il y aura eu quelques coups d'éperons de donnés, le Pégase aura fait le rétif, et tout en sera demeuré là. Que je me trompe ou non, le fait est que depuis plus de treize ans, Thiriot vit de table en table du récit d'un premier chant de la Pucelle, comme pendant trente ans durant, le récit distillé de Catilina payait l'écot de l'auteur d'une scène de Cromwel. Ces messieurs ont raison. Traités un peu durement sur ce qu'ils ont fait, ils se font aduler sur ce qu'ils ne font point. Vous fuyez ce que nous montrons; nous vous ferons courir après ce que nous ne montrerons jamais. . . .