1750-06-26, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].
Vieux palefrois de nos rouliers,
Volez, rétives haridelles,
Devenez de fameux coursiers,
De Pégase empruntez les ailes,
Les beaux chevaux du dieu du jour
Vous ont cédé leur ministère;
Vous conduirez le dieu, son frère,
De Versailles à cette cour.
Que Rabican, que Parangon
Seraient piqués de jalousie,
S'ils voyaient que dans ce canton
Fringants, à force réunie,
Vous mènerez de l'Hélicon,
Le dieu du goût et du génie.
Vos destins seront glorieux;
Ce dieu sentant son âme émue,
Vous délivrant de la charrue,
Daignera vous placer aux cieux.
L'astronome à quelque heure indue,
De sa lunette à longue vue
Examinant le firmament,
Frappé d'extase en vous voyant,
Pourra penser assurément
Que la lunette a la berlue.

Voilà ce que j'ai dit aux chevaux qui auront l'honneur de vous conduire. On dit que la langue allemande est faite pour parler aux bêtes; et en qualité de poète de cette langue, j'ai cru ma muse plus propre à haranguer vos chevaux de poste, qu'à vous adresser ses accents. Vous êtes à présent armé de toutes pièces, de voiture, de passeport, et de tout ce qu'il faut à un homme qui veut se rendre de Paris à Berlin; mais je crains que vous ne soyez prodigue de votre temps à Paris, et chiche de vos minutes à Berlin. Venez donc promptement, et souvenez vous qu'un plaisir fait de bonne grâce acquiert un double mérite.

Federic