1766-05-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher frère, j'ai mis l'estampe des Calas au chevet de mon lit et j'ai baisé à travers la glace madame Calas et ses deux filles.
Je leur en rends compte dans la petite lettre que je vous envoie.

On se plaint beaucoup de la gravure. On trouve que les doigts ressemblent à des griffes d'oiseaux mal faites, et les bras à des cotrets. Mais pour moi je suis si content d'avoir cette famille sous mes yeux que je pardonne tout et que je trouve tout bon.

Le paquet contenait aussi un Lucain et deux tomes de Goldoni, mais je m'attendais à un Freret dont vous m'aviez tant parlé. Je suis persuadé avec vous que la sagesse du ministère n'a pas voulu qu'on débitât le grand dictionnaire avant qu'on eût examiné combien il est instructif et circonspect. Cette conduite du ministère est d'autant plus prudente qu'on dit que l'assemblée du clergé approche ou du moins qu'on disait qu'elle approchait. Je vous prie de me mander si en effet elle se tiendra et dans quel temps.

Je compte vous envoyer mardi prochain par la diligence de Lyon, le buste d'un de vos amis. Il est dans le goût antique et est assurément mieux fait que l'estampe des Calas. Ayez la bonté je vous en supplie de ne point écrire aux sculpteurs et de n'avoir aucun commerce avec eux. Laissez moi faire mon devoir sans quoi je me brouille avec vous.

Je ne sais rien de nouveau car les tracasseries de Geneve ne sont pas nouvelles.

Venons s'il vous plaît à notre grande affaire, au mémoire des Sirven. J'ai été bien confondu quand je ne l'ai pas vu avec l'estampe des Calas. Est ce la maladie de m. de Beaumont qui l'a empêché de finir ce grand ouvrage? est ce quelque difficulté survenue sur la forme? les avocats sont ils d'accord? ne le sont ils pas? aurons nous beaucoup de signatures? N'oubliez pas je vous en conjure un objet si digne de vous. La pauvre famille Sirven est désespérée, parce qu'on lui avait donné l'espérance la plus flatteuse.

Je viens de lire l'article Vertu; il me console, il m'assure que notre cher Beaumont achèvera son ouvrage. Je vous réitère, mon cher ami, la prière de payer l'honoraire des avocats qui signeront la consultation.

Adieu, mon cher frère, ma santé empire tous les jours, mais j'ai fait provision de patience. Embrassez pour moi Platon.