à Ferney 1er fév: 1766
Je vous assure, Monsieur, qu'un des beaux jours de ma vie, a été celui où j'ai reçu le mémoire que vous avez daigné faire pour les Sirven.
J'étais accablé de maux, ils ont tous été suspendus. J'ai envoié chercher le bon Sirven, je lui ai remis ces belles armes avec lesquelles vous déffendez son innocence; il les a baisées avec transport. J'ai peur qu'il n'en éfface quelques lignes avec les larmes de douleur et de joie que cet évênement lui fait répandre. Je lui ai confié vôtre mémoire et vos questions, il signera, et fera signer par ses filles la consultation, il paraphera toutes les pages, ses filles les parapheront aussi, il rappellera sa mémoire autant qu'il poura pour répondre aux questions que vous daignez lui faire, vous serez obéï en tout comme vous devez l'être. Il cherche actuellement des certificats. J'ai écrit à Berne pour lui en procurer.
Permettez, Monsieur, que je paie tous les avocats qui voudront recevoir les honoraires de la consultation. Je n'épargnerai ni dépense ni soins pour vous seconder de loin dans les combats que vous livrez avec tant de courage en faveur de l'innocence. C'est rendre en effet service à la patrie que de détruire les soupçons de tant de parricides. Les huguenots de France sont à la vérité bien sots et bien fous, mais ce ne sont pas des monstres.
J'enverrai vôtre factum à tous les princes d'Allemagne qui ne sont pas bigots. Je vous demande en grâce de me laisser le soin de le faire tenir aux puissances du nord. J'ai l'ambition de vouloir être la première trompette de vôtre gloire à Petersbourg et à Moscou.
Vous m'avez ordonné de vous dire mon avis sur quelques petits détails qui appartiennent plus à un académicien qu'à un orateur. J'ai usé, et peut être abusé de cette liberté. Vous serez comme de raison le juge de ces remarques. J'aurai l'honneur de vous les envoier avec vôtre original, mais en attendant, il faut que je me livre au plaisir de vous dire combien vôtre ouvrage m'a paru éxcellent pour le fond et pour la forme. Cette consultation était bien plus difficile à faire que celle des Calas, le sujet était moins tragique, l'objet de la requête moins favorable, les détails moins intéressants. Vous vous êtes tiré de toutes ces difficultés par un coup de l'art, vous avez su rendre cette cause celle de la nation et du Roi même. Vos mémoires sur les Calas sont de beaux morceaux d'éloquence, celui cy est un éffort du génie.
Je vois que vous avez envie de rejetter dans les notes quelques preuves et quelques refléxions de jurisprudence qui peuvent couper le fil historique, et ralentir l'intérêt. Je vous exhorte à suivre cette idée, vôtre ouvrage sera une belle oraison de Ciceron avec des notes de la main de l'auteur.
J'attends Sirven avec grande impatience pour relire votre chef d'œuvre, et ce ne sera pas sans entousiasme. Si j'avais vôtre éloquence je vous exprimerais tout ce que vous m'avez fait sentir.