à Ferney 11e fév: 1766
Je reçus hier, monsieur, le premier volume du recueil que vous avez bien voulu faire; il était accompagné d'une lettre en date du 24e Xbre dernier.
Je me hâte de vous remercier de votre lettre, du recueil, de l'épître dédicatoire à mad. la comtesse de Buturlin, et de l'avis de l'éditeur. Ce sont autant de bienfaits dont je dois sentir tout le prix. Vous m'avez fait voir que j'étais plus ami de la vertu, et même plus théologien que je ne croyais l'être. Il y a bien des choses que la convenance du sujet et la force de la vérité font dire sans qu'on s'en aperçoive. Elles se placent d'elles mêmes sous la main de l'auteur. Vous avez daigné les rassembler et je suis tout étonné moi même de les avoir dites.
Il faut avouer aussi que ceux qui m'ont persécuté ne doivent pas être moins étonnés que moi. Votre recueil est un arsenal d'armes défensives que vous opposez aux traits des Frérons et des lâches ennemis de la raison et des belles lettres.
Ma vieillesse et mes maladies m'avaient fait oublier presque tous mes ouvrages. Vous m'avez fait renouveler connaissance avec moi même. Je me suis retrouvé d'abord dans tout ce que j'ai dit de dieu. Ces idées étaient parties de mon cœur si naturellement, que j'étais bien loin de soupçonner d'y avoir aucun mérite. Croiriez vous, monsieur, qu'il y a eu des gens qui m'ont appelé athée? C'est appeler Quesnel moliniste. Chaque siècle a ses vices dominants. Je crois que la calomnie est celui du nôtre; cela est si vrai que jamais on n'a dit tant de mal de Bayle que depuis une trentaine d'années. L'insolence avec laquelle on a calomnié le dictionnaire encyclopédique est sans exemple. Le malheureux qui fournit des mémoires contre cet important ouvrage poussa l'absurdité jusqu'au point de dire que si on ne découvrait pas le venin dans les articles déjà imprimés, on le trouverait infailliblement dans les articles qui n'étaient pas encore faits. Cela me fait souvenir d'un abbé Desfontaines, écrivain de feuilles périodiques, qui en rendant compte du minute philosopher du célébre Barclai, évêque de Cloane, crût sur le titre que c'était un livre de plaisanteries contre la religion, et traita le vieil évêque de Cloane comme un jeune libertin, sans avoir lu son ouvrage.
Ce Desfontaines a eu des successeurs encore plus ignorants et plus méchants que lui qui n'ont cessé de calomnier les véritables gens de lettres. Jamais la philosophie n'a été plus répandue, et jamais cependant elle n'a essuyé de plus cruelles injustices. Ce sont ces injustices même qui augmentent l'obligation que je vous ai.
Je ne sais, monsieur, si mad. de Buturlin à qui vous me dédiez, est sœur de mr le comte de Voronzoff que j'ai eu l'honneur de voir chez moi, et qui est actuellement ambassadeur à la Haye. Je vous supplie de vouloir bien lui présenter mes respects.
J'ai l'honneur d'être avec la plus sincère reconnaissance mr votre.