1765-07-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Il n'est pas juste Monseigneur qu'un vieux amateur et serviteur du tripot comique comme moy ait chez luy Mademoiselle Clairon sans vous demander vos ordres.
Elle vient d'arriver, j'ignore encore l'état de sa santé, j'ignore le parti qu'elle sera obligée de prendre, et je crois que je dois demander vos ordres pour savoir sur quel ton je dois luy parler, et quelles sont vos intentions. Ce n'est pourtant pas que je pense que mes conseils aient beaucoup d'autorité sur elle. Il est à croire que Monsieur le comte de Valbelle aura beaucoup plus de crédit que moy, mais enfin si vous avez quelques ordres à me donner, je les exécuterai très fidèlement. Je suis assez comme cette vieille marquerelle qui se mourait et qui disait à ses demoiselles, croyez vous que je puisse tromper quelqu'un en l'état où je suis? Comptez monseigneur que l'envie de vous plaire sera me dernière volonté.

La mort du duc de Parme est une belle leçon de l'inoculation. Son fils qui a eu la petite vérole artificielle est en vie, et le père qui a négligé cette précaution meurt à la fleur de son âge. Les vieilles femmes inoculent, elles mêmes leurs petites filles dans le pays que j'habite. Est il possible que le préjugé dure en France si long temps!

Je suis actuellement auprès de Monsieur Tronchin; ainsi vous me pardonerez de vous parler d'inoculation. J'ay un peu recouvré la vue, mais je perds tout le reste. Conservez votre santé, ce bien sans le quel les autres ne sont rien, et vivez s'il se peut aussi longtemps que votre gloire.

V.