1765-07-11, de Philippe Antoine de Claris, marquis de Florian à Alexandre Jean Mignot, abbé de Seillières.

Quand nous avons quelque chose de bon, nous nous empressons d'en faire part à nos amis.
Les vers cy à côté furent prononcés avant hyer à l'ouverture de notre théâtre par mr de Laharpe. La pièce soutint parfaitement un prélude aussi agréable, elle fut joüée à ravir. Mon frère partit le lendemain, c'est à dire hyer, il m'a laissé son fils pour lequel mes chers amis je vous demande un peu de part dans votre amitié. Je me flatte qu'il la méritera, du moins en témoigne t'il un très grand désir. Voilà les nouvelles les plus récentes de Fernex, après lesquelles je vais répondre à votre dernière du 28 qui nous parvint le jour même que partit celle de gronderie. La vôtre mes chers amis appaisa tout quoy que la quinsaine complette nous paroisse toujours un terme un peu trop long. Au surplus ceux qui voudront sçavoir des nouvelles de me de Florian propria manu et qui ne se contenteront pas de son secrétaire, ma foy, pourront fort bien comme on dit s'en torcher les barbes et soulageront beaucoup ce pauvre diable de secrétaire, auquel la charge ne paroit agréable que lorsqu'il employe ses foibles et nouveaux talents envers vous mes chers amis. Envers tout autre, c'est peine et point de profit, témoin Mr d'Argental qui toutefois m'a fait une réponse très honette à laquelle je me garderai de répliquer à moins de nécessité urgente. Revenons à nos moutons. Vous voilà donc toujours le bec dans l'eau mon pauvre abbé, mais cela ne vous va point du tout, le bec dans le vin encore passe. Il faut espérer qu'on vous tirera un jour de cette désagréable position pour vous en donner une plus convenable et c'est ce que nous vous souhaitons in nomine &c.

Me de la Roche est donc à la Bastille, voilà de quoy apprendre à parler ou à écrire car nous ignorons pour lequel des deux. Je serois bien fâché qu'elle y eût pour compagne la dame de la rue Jacob et je le suis beaucoup de la sçavoir elle même si mal gittée, quoyqu'au fonds je sois bien aise que justice se fasse et que chacun se mesle de ses affaires. Tant mieux que celle de Pau s'accomode, je voudrois bien en entendre dire autant de celle de Bretagne, car j'aime la paix.

Mr de Roffé nous a mandé les dispositions de Mr de Sylhouette dans le plus grand détail. Ce qui m'en plait beaucoup c'est que son cher père n'aura pas une obole. On nous dit aussi que la douleur de m. de Sylhouette se calme, je désire fort qu'on en dise autant de sa dévotion. Je désirerois plus encore mon cher abbé de pouvoir vous soulager de votre déménagement mais c'est bien le contraire puisque vous êtes en partie chargé du nôtre, ce qui (vu la différence de nos talents) fait justement le monde renversé. Je suis bien sûr cependant que vous vous en serés fort amusé, et comme je le suppose finni je vous en fais mon compliment. Votre nouvelle mon cher d'Hornoy sur les benedictins est belle et bonne et si les moines ont autant d'envie de renoncer à leur état que le public de les voir anéantis, il y a lieu d'espérer qu'ils n'existeront pas long temps. Ainsi soit il. Adieu mes chers amis, votre mère va vous conter ce qui se passe ici afin que vous soyés de belle humeur. Je me contente de vous embrasser de toute mon âme.

Il faut bien heurler avec les lous, me voilà engagé dans la troupe, pour le comique santan, trois grans rôle qu'il faut me ficher dans la tête. Ce n'es pas une petite afaire. Au surplus nos tragique sont excelens, c'est à dire Cramere l'enée et le peti de Laharpe, ma soeur très bone sans un grand défaux dons le tant ne la corigera pas. C'es domage que les grans rôle ne sois pas des rôle de mère. Ce Laharpe est un bone enfan qui ne se doute de rien, très male élevé, c'est Chimene é compagnie qui ont été cest présepteurs. Il en trouve ici qui vale mieux et qui ne le gâte poin dutout. Mon beau frère est parti, c'est une homme plin de santimans et d'onasteté. Il a enporté l'estime de tout le monde, il aime son fils pasionément et san est séparér avec le plus grand courage. Je ne sorais vous dire trop de bien de cet enfan, il est vife come à dix ans, resonable, sansible, dou, n'ouvran la bouche que pour dire des chose obligente et spirituelle, une très bele mémoire, une grande émulasion, poin de sufisence, enfin tout le monde l'aime à la folie et vous en feréz autant. Il est dans l'ivresse de la comédie, on luy fera faire des petis rôle de valait. Dans le tragique on l'abille en garde, tout cela le transporte, mais il n'an étudie pas moins quoy que son travaille soit pénible car on luy comance le latin qu'on ne luy avait poin montré. C'es le père Adan qui luy montre. Il prétant qu'il le luy montrerait en deux ans s'il l'avait avec luy. Adieu mes bons amis, un peu plus souvan de vos nouvelles. Coment vous trouvez vous dans la rue d'Anjou? Je vous aime et vous embrace de tout mon coeur.

Vers prononcés sur le théâtre de Fernex
avant la représentation d'Alzire

Les créateurs des arts, les enfans du génie,
Les précepteurs fameux de l'antique Ausonie,
Les Grecs, dans l'appareil de leurs solemnités,
Dans ces jeux immortels qu'on n'a point imités,
Ouvrant la lice de la gloire
Appellaient les talents jaloux de la victoire.
Là se réunissaient aux yeux des nations
Le masque de Thalie et la lyre hautaine,
Les touchantes illusions
De la plaintive Melpomene,
Venus offrant encore de plus brillants appas
Sous le ciseau de Praxitèle,
Jupiter de la foudre armé par Phidias
Et les héros plus grands sous le pinceau d'Appele.
Là tout prêt d'achever un siècle de travaux
Sophocle ranimant sa tragique éloquence,
Triomphait à cent ans de ses jeunes rivaux.
C'est là que ce vieillard aux yeux d'un peuple immense
Vainqueur à son dernier moment,
Baissant sous les lauriers sa tête appesantie,
Exhalait dans la joye et le ravissement
Les restes brillans de sa vie.
Si le Sophocle des Français
Voulait briguer encor les prix de Melpomène,
Qui jadis l'adopta dès ses premiers essais
Cet athlète indompté retrouverait sans peine
Et son génie et ses succès.
Mais dans l'art de penser sa vieillesse affermie
Semble se consacrer à des emplois plus grands.
Entre la bienfaisance et la philosophie
Il partage tous ses instants,
Il orne, il enrichit ces paisibles rivages
Tout se ressent ici de ses soins généreux,
Son sort est de donner et des leçons aux sages
Et des secours aux malheureux.
Nous à ses vers touchans où la vertu respire,
Où de l'humanité dont il soutient les droits,
On éprouve le doux empire,
Nous prétons notre foible voix
Mais sans l'art des acteurs il est bien sûr de plaire,
Lui même il embellit nos jeux, nos loisirs,
Il nous attendrit, nous éclaire
Et nous instruit dans nos plaisirs.