à Genêve 22e May 1765
Mon cher et vertueux ami, je vous ai envoié le portrait du petit Calas peint à l'huile.
Sa mère aidera à rectifier les traits. Ils sont mieux peints dans le cœur de cette digne mère que par le pinceau de Mr Hubert. On fait actuellement un recueil de toutes les pièces de cette triste avanture, dont la fin fera tant d'honneur aux maîtres des requêtes, à la nation, et surtout au Roi qui a si bien réparé la malheureuse injustice de Toulouse. S'il était mieux instruit je suis bien sûr que la bonté de son cœur réparerait sur la fin de ma vie toutes les injustices que j'ai essuiées. Vous savez qu'on m'impute tous les jours des ouvrages auxquels je n'ai pas eu la moindre part. Ce ne devait pas être la récompense d'avoir fait la Henriade, le Siècle de Louis 14, et quelques ouvrages qui n'ont déplu ni au Roi, ni à la nation; mais c'est le sort attaché à la profession d'homme de Lettres. Peut être est-il dur, à l'âge de soixante et douze ans d'être continuellement en bute à la calomnie, mais j'ai apris dans la saine philosophie que nous cultivons tout deux, qu'il faut savoir se résigner. Tout ce que je souhaitte, c'est que le Roi et le ministère puissent un jour savoir que les gens de Lettres sont les meilleurs citoiens et les meilleurs sujets. Tout est cabale à la cour, tout est quelquefois passion dans de grandes compagnies qui ne devraient point avoir de passions. Il n'y a que les vrais gens de Lettres qui n'aient point d'intrigues, et qui aiment sincèrement l'ordre et la paix.
Adieu, mon digne ami; je suis bien malade, et en vérité on ne devrait pas troubler mes derniers jours. Vôtre amitié vertueuse fait toute ma consolation.
Voltaire