19e avril 1765
Mon cher frère, je suis confondu, pétrifié; c'est donc un secret que l'expulsion des jésuites, puisqu'il est deffendu d'en parler.
Point de bruit si je ne le fais, est donc la devise des maîtres des actions et des pensées des hommes? J'espère aumoins qu'on ne perdra rien pour attendre, et que dans quelque temps ce charmant ouvrage paraîtra. Les Bazins de Hollande n'étaient pas encor arrivés quand mr De Lahaye partit avec les Caloyers Ces Caloyers m'ont paru fort augmentés, et capables de faire beaucoup de bien. Vous avez une petite liste des personnes auxquelles on peut en envoier, et vous trouverez sans doute quelque adepte qui se chargera aisément du reste.
Les Bazins sont d'un genre tout différent. Ils ne me semblent pouvoir faire fortune qu'auprès de ceux qui connaissent un peu l'histoire ancienne. Je crois qu'ils n'essuieront pas le sort de la destruction. L'étiquette du sac n'inspire pas la même défiance. Le nom seul de jésuite éffarouche la magistrature. On éxamine l'ouvrage dans l'idée d'y trouver des choses dangereuses. Des fatras d'histoire donnent moins d'allarme. La destruction des Babiloniens par les Persans éffarouche moins que la destruction des jésuites par les Jansénistes.
L'enchanteur Merlin est très instamment prié de n'en pas faire une édition nouvelle avant de faire écouler celle d'un pauvre diable à qui on a donné ce petit morceau pour le tirer de la pauvreté. Je crois que l'enchanteur se tirera bien de sa seconde édition; l'ouvrage m'a paru assez curieux et assez neuf. Je n'en ai envoié que quelques feuilles en divers paquets à Mr D'Argental, sous le couvert d'un ministre. Mandez moi, mon cher frère, si je puis en user de même avec vous, en me servant de l'adresse de Mr Gaudet, et en lui adressant les paquets par Lyon.
Je ne verrai Gabriel que dans quelques jours. C'est un petit voiage d'aller de Genêve chez moi, l'allée et le retour prennent une journée.
Mon cher frère, je vous embrasse. Ecr: L'inf.