Le 7 mars 1765
Mon très illustre maître, mon très illustre philosophe, je n'ai rien lu de plus beau que la lettre que vous avez bien voulu m'adresser sur les malheureux Calas et Sirven.
Le défenseur de Roscius, qui malgré la frénésie de Jean Jacques était autre chose qu'un rhéteur, eût admiré le vengeur bienfaisant de ces infortunés. Plus épouvanté que Sirven même du récit de sa fuite, il eût frémi de la naissance de cet enfant au milieu des horreurs de la mort, ne sortant de son sein que pour être poursuivi avec celle qui venait de lui donner l'être.
Quel tableau! quel cœur n'en serait pas brisé! L'histoire seule du christianisme en offre de semblables. Il est le destructeur de l'humanité et l'outrage de la nature. Jamais la philosophie ne m'a paru si belle qu'en la voyant baignée de larmes, arracher par vos mains les innocentes victimes, aux fureurs de l'exécrable fanatisme. Je l'ai cru voir elle même tracer les traits sublimes et touchants dont vous la peignez. Oui, tel est le philosophe, et vous en êtes le modèle.
Malheureusement aussi tels sont ses atroces ennemis, portant partout ou la nuit de l'erreur, ou celle de la mort. Leurs forfaits ne tarissent point. Ce serait se rendre coupable de tous ceux qu'elle peut empêcher que de ne pas publier cette lettre, où brille l'humanité, autant que la raison, la vérité que le génie. Elle apprendra à respecter la philosophie, à aimer la vertu, à détester la superstition, et fera abhorrer le fanatisme. Je vais la faire imprimer; quelque welche qu'on soit encore, j'ai de la peine à croire qu'on s'y oppose. L'envie la plus acharnée n'y pourra critiquer que les éloges dont vous comblez votre disciple et votre ami. Je sens combien ils sont au-dessus de ce que je vaux. Mais en l'exagérant vous m'apprenez ce que je devrais valoir, et vous m'inspirez le zèle le plus ardent de mériter ces éloges.
Il m'est bien doux, mon très illustre maître, de recevoir ces témoignages flatteurs d'une amitié dont je fais ma gloire et mes délices; ils seront mon apologie contre l'envie et mon titre à l'indulgence de ceux qui auront de la justice. Je m'estime beaucoup puisque vous m'aimez.
Sirven sera défendu. Beaumont l'attend. Il n'y a qu'à nous l'envoyer. Tous le cœurs s'embrasent au feu bienfaisant du vôtre.
J'ai passé deux heures aujourd'hui en prison avec madame Calas et ses infortunés compagnons. Je les ai été consoler plusieurs fois depuis qu'ils y sont. Je ne suis pas le seul. Beaucoup d'autres gens de bien en ont fait autant et j'ai vu avec une grande satisfaction qu'il y avait encore de la vertu et de l'honnêteté dans le monde. Ils sortiront après-demain, du moins je l'espère; ils seront vengés. Il ne reste qu'une statue d'or à vous élever.
Votre lettre à m. Berger m'a fait un plaisir inexprimable; elle est charmante, mais surtout elle est gaie. J'aime à vous voir rire, après avoir vengé l'humanité de ce monstre qui fait votre peine et la mienne. Si vous ne le désapprouvez pas, je ferai imprimer cette lettre après l'autre. Ce sera une jolie petite pièce après une tragédie sublime.
Je vous dois tant présentement, mon très cher et très aimé maître, que je ne sais plus comment vous parler de ma reconnaissance. Le présent précieux de vos ouvrages que vous avez la bonté d'accorder à ma prière, est pour un jeune écraseur des plus intrépides, il se nomme Naigeon, et ne manque ni de talents, ni de bonne volonté; j'espère qu'il deviendra utile à la bonne cause. Recevez tous ses remerciements et les miens. J'aurais de la peine à vous dire combien il est heureux et sensible à ce bienfait.
On ne peut plus parler de la pièce de m. de Belloy, sans être un mauvais citoyen ou un vil adulateur; le mieux est de se taire, et d'attendre que le temps décide laquelle de ces deux qualifications on aura mérité.
La destruction est en route suivant une lettre de frère Cramer à frère Protagoras. J'en espère du bien. Mais ce n'est qu'une plume arrachée de l'aile du vautour. Si tous les coups se réunissaient ils seraient plus sûrs et plus efficaces. Il s'en prépare quelques uns qui pourront faire du bruit. Dieu bénisse nos travaux et les fasse fructifier.
Adieu, le plus grand des philosophes anciens et modernes, adieu, le maître que je chéris par-dessus tout. Oh! que j'aurais de plaisir en effet à crier avec vous dans un souper: écrasons l'infâme, et plus encore à l'enterrer après. Je vous embrasse avec la plus vive et la plus respectueuse tendresse.