ce 3 mars 1765
Mon cher confrère, vous pouvez juger de mon état par la chronologie! car il n'y a si petit être qui n'ait la sienne, et une abeille et moi, nous avons la nôtre.
Il n'y aura que vous qui n'aurez que celle des temps, vous disparaîtrez mais vous ne mourrez point. Je m'ennuie d'être séparé de vous, non seulement par l'espace mais par le souvenir. Je ne le comprends pas, tout le monde sait ce que je pense de vous et pour vous, et vous êtes le seul qui paraissiez l'avoir oublié. Toute notre vie avait été marquée par nos liaisons, et si nous changions de maîtresses, nous restions toujours à notre place, parce que l'amitié reste comme les Termes et c'est ce qui fait qu'ils avaient leur culte.
Enfin donc, mon cher confrère, où êtes vous, où en êtes vous, quels nouveaux admirateurs, quels nouveaux contradicteurs avez vous? car vous en aurez toujours ne fut ce que quelques coureurs qui s'échappent de la foule pour tâcher d'être aperçus à votre suite. Pour moi j'y ai ma place comme votre ami, qui ai eu l'honneur de tirer la Henriade de la cheminée de Lafaye. Ce sera une place dans la vie d'un homme de lettres et que personne ne peut me disputer.
Je m'occupe pour la dernière fois de mon histoire, et il faudra que vous enduriez ma dernière édition, décorée de nouvelles vignettes de Cochin, car les vieilles ont besoin de pompons.
Voici un nouvel élève que vous aurez: c'est l'auteur du siège de Calais. Je ne l'ai pas encore vu, mais j'en entends bien parler.
Je n'avais pas encore vu le Journal encyclopédique, qui a son mérite, et qui ne me paraît pas un juge téméraire.
Adieu mon cher confrère, ne vous démentez pas de votre amitié pour moi dont vous n'avez point rougi, et recevez les assurances d'une amitié dont je me suis fait honneur toute ma vie.